Jean-Michel Delacomptée, Notre langue française, Fayard, 2018, 220 pages, 18 €

Jean-Michel Delacomptée, Notre langue française
essai, Fayard, 2018, 220 pages, 18 €

C’est la particulière vertu de la langue que de nous subjuguer sans nous contraindre.
Jean-Michel Delacomptée, Notre langue française

Delacomptée« Conçue, à l’origine, pour être écrite avant d’être parlée, la langue française a toujours obéi à une double vocation, politique et esthétique. Politique par sa volonté d’égalité vers le haut, esthétique par sa dimension foncièrement littéraire.
Des Serments de Strasbourg à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, du bouillonnement de la Pléiade à la rigueur de Malherbe, ce riche essai traverse, pour s’en émerveiller, l’histoire de notre langue – possessif pluriel en forme de prière laïque.
Car l’auteur s’inquiète. Il craint que la standardisation, l’obsession de l’égalité par le bas, la technicité triomphante, la novlangue, le déracinement, ne portent au français un coup fatal.
Indifférent aux sempiternels procès en passéisme, il soutient que la progressive rupture du lien qui unit notre langue à ses origines politique et littéraire va, dans un proche avenir, ruiner sa vigueur, son identité, son esprit. Qu’en abandonnant la quête d’exigence et de beauté qui a fait sa force, nous la privons de son pouvoir émancipateur. Et que, si nous continuons à la saccager, nous détruirons avec elle non seulement notre idéal républicain et notre culture, mais notre civilisation elle-même. »
Cette quatrième de couverture dit si bien le mouvement de l’ouvrage que je la donne intégralement.


Quinze chapitres structurent ce volume qui décrit un état des lieux, avec force, et des lieux en péril. Quand j’écris “avec force”, j’évoque le style, la haute langue, pas prête de verser chez des esprits curieux, qui voudraient par exemple savoir pourquoi « Péguy repose au cimetière des voix inoubliables », ou comment on envisage une égalité par le haut, la plus naturelle. Comment échapper « à la bien-pensance qui gâte le système », aux idées reçues, à cet « humanisme de la compassion coextensif à l’émoi réflexe » ? Comment en arriver à ce que « l’absence d’écriture devienne une qualité » ? Il cite le début de Soumission où Houellebecq, sous couvert de faire l’éloge de la littérature, l’annihile peut-être avec cette incise [que vous pouvez survoler avec votre souris] :

« qu’il [l’écrivain] écrive très bien ou très mal en définitive importe peu » [bas de la page 13, édition J’ai Lu].
Dès le quatrième paragraphe de Mémoires de filles, en Folio, page 12, l’agrégée de Lettres Annie Ernaux écrit : « Vous attendez le Maître, qu’il vous fasse la grâce de vous toucher au moins une fois. Il [le Maître] le fait [la grâce de vous toucher au moins une fois], une nuit, avec les pleins pouvoirs sur vous que tout votre être a suppliés. » Qu’est-ce que ce charabia ? “Supplier les pleins pouvoirs” ! Comment une telle expression peut-elle ne déranger personne ? Il faut croire que non…

Qui résiste au tout se vaut, à « la castration linguistique » ? Au moins Jean-Michel Delacomptée qui exécute en cinq mots le débat de cet hiver : « écriture inclusive, machine à exclure ». Au lecteur de retrouver le raisonnement clair et sans appel et d’explorer la « malbouffe du langage […] ce viol perpétuel, cette hargne, cette forme de haine » auxquels ne sont pas étrangers les acteurs de l’internationalisme linguistique et autres « clercs cosmopolites », sans oublier les tenants d’une « langue sans terre ni chair ». Deux cents pages pour rappeler enfin que « la langue est religieuse en ce qu’elle nous relie aux autres, au passé, à l’avenir. » Un grand essai roboratif contre le chaos qui attend son heure, mais que chacun peut et doit combattre.

Pierre Perrin, note du 8 mars 2018



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