Jacques Réda, Rythme, chaos, mythologies, Gallimard, 2018, 136 pages, 20 €

Jacques Réda, Rythme, chaos, mythologies
Gallimard, 2018, 136 pages, 20 €

Jacques Réda

Soixante-dizième ouvrage de notre plus grand poète vivant – né en 1929, peu après Jaccottet juché déjà dans sa Pléiade –, ce cinquième tome de La Physique amusante retient, hélas, peu de critiques. À ce jour, presque trois mois après parution, il semble que seul Jean-Paul Gavard-Perret lui ait accordé un écho. On peut lire en ligne, dans Le Salon littéraire, son assassinat en marche dès la première phrase. « Les cinq tomes de La physique amusante me font tomber de sommeil. » Toute la suite de la note révèle un malentendu, entre le critique et son poète. Tombé de sommeil, le critique aura mal tourné les pages. Si la rime est la cause de son mal, c’est que la rime reste antique au temps du rap et de ses « punchlines » à goût de menstrues. L’apophtegme est mort, le franglais l’a tué ! « Ah oui, écrire comme courent ces chevaux, la grâce même et la juste vitesse, la fantaisie du naturel, l’incarnation immédiate d’une pensée limpide comme ce ciel dans des jambages qui bondissent et qui dansent, ne touchant terre que par égard pour le poids du lecteur », consignait Jacques Réda dans L’Herbe des talus, en 1984. On se dit que tant d’élégance n’est plus possible, qu’il n’est plus d’herbe sur les talus. Mais dans quel monde vit-on ? La distance est en perdition ; la prise de distance, impossible. Réda se joue du temps, qui se joue de sa personne. « Après l’air, il n’est pas de plus doux élément / Pour nous que la lumière, et sa perte tracasse. » Sa pensée procure l’effet de la voltige. Ses tours de passe-passe, adorables, étonnent et ravissent.

« […] Les mots flottent ainsi que de légers bouchons
Secoués en tous sens. Mais nous nous accrochons
À chacun de ces grains de papavéracée
Pour endormir l’effroi de notre traversée
De l’Espace et du Temps qui, du reste, ne sont
Eux-mêmes que les mots usés d’une chanson.
Et nous ne pouvons mieux savoir ce que nous sommes.
Les animaux, sachant qu’ils ne sont pas des hommes,
Savent très bien s’ils sont des chats ou des souris
Et n’agissent jamais en farauds ahuris
Qui se prennent parfois pour des frères des anges,
Des aigles du langage ou ses tendres mésanges,
Et voient dans ces envols factices le constat
D’un savoir, quand chacun de nous meurt intestat
Et sans avoir beaucoup augmenté l’héritage. »

Quelques vers plus avant, Jacques Réda rappelle que « l’Homme voudrait toujours et ne peut pas changer ». Il revisite notre croyance en Dieu, pourquoi nous l’avons inventé autant qu’Il nous a créés. Réda dévide le fil de ce qu’il appelle une charade et conclut : « Dieu n’aurait jamais eu besoin de camarade » et que sa part demeure « assimilable à celle du hasard ». Il faut lire, bon Dieu ! et jusqu’aux derniers vers, touchants en diable :

« Mais c’est peut-être là qu’Il nous est le plus proche :
Quand Il nous tend la main en silence, la poche
Vide, l’estomac creux, seul au bord du trottoir.
Ayez pitié de vous qui passez sans Le voir. »


Comment ne pas deviner un Villon proche de Réda ? Ce grand écart à travers les siècles, ne saurions-nous plus le lire, le faire vivre ? Ce recueil est pourtant inépuisable. Je n’en donnerai encore que ces vers, que vous reprendrez peut-être à votre compte…

« — J’approuve ce parti : chantons, dansons notre passage
Au lieu de le maudire ou le laisser traîner en langueur.
Le savoir n’a jamais rendu serein ni plus sage.
[…] être compris dispense de comprendre.
À quoi l’Homme s’oppose en tout, rebelle, dissident,
Fauteur de trouble, enfant d’Hybris que je croirais parente
De chaos. Tel est l’Homme. Et sa nature conquérante
L’a rendu détestable aux dieux, qu’il nie
. »

Pierre Perrin, note du 22 janvier 2019



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