Murielle Compère-Demarcy, L’Oiseau invisible du Temps
éditions Henry, 2018, 112 pages, 8 €
Ce volume de la collection « La main aux poètes » de petit format [10,5 x 15 cm], à la couverture peut-être un peu trop rigide pour une impatiente saisie, offre à lire le monde tendrement cruel de Murielle Compère-Demarcy. Sous le titre : « Attention poésie fraîche traces indélébiles », elle offre ce portrait : « Personne ne la comprenait, mais personne n’avait cherché à la comprendre. Sa présence traversait des paysages de transparence et des isolements, comme des zones de nuages passent sans qu’on s’en soucie vraiment, forment un jour, d’un corps, des blocs indivisibles de glace, sans que l’on sache comment. Le peigne des peupliers balançait dans les cheveux du vent. Des libellules moissonnaient la chevelure d’encre. Elle marchait dans le roncier des solitudes, comme on marche mal protégée sur des chardons ardents. Son cœur, auprès de l’églantier, s’enfonçait chaque jour sous les buissons de sa mémoire – des rêves de roses sauvages fichés d’épines noires. La nudité d’être, dans le dénuement de soi, dans le cœur fou et le corps condensé /ravagé du poème lui fit un jour le signe du vrai visage. De sa lumière. D’une lumière-astre du Langage. » On lit, à travers ce poème, la façon dont Murielle Compère-Demarcy modèle la langue. Elle offre l’inventivité du surréalisme [« Le chant du cor heurte les tibias phosphorescent de la pluie »] ; elle va le plus souvent vers le meilleur de ce qu’a produit ce mouvement. Mais elle marie son dire haletant avec des émotions. Très sensible à l’animalité en général, celle de l’humanité autant que celle des races dites inférieures, ailées ou à quatre pattes, elle nous rend la nature proche et sensible. « Le vent contrariant prépare l’hirondeau / pour le départ de l’automne. » Elle cite en exergue Ramuz qui rappelle combien on ne peut bien greffer que sur du sauvage. La greffe que pratique Murielle Compère-Demarcy fonctionne à ravir. « Le clair de nous s’évanouit. » En même temps elle accuse le noir de l’humain. Aucun thème ne la rebute, ni le terrorisme, ni les inégalités mortelles infligées aux plus faibles, ni ces rages qui parfois nous accablent. « Tu es rentré dans le silence / comme on claque une porte. » Elle a le goût et le souffle de l’épopée. Le recueil en compte deux miniatures ; la première s’adresse à Jacques Darras avec un monde-poème artésien ; la seconde, enjambant des clins d’yeux au Pascal Commère des moissonneuses, reprend dans ses filets la Prose du Transibérien et de la petite Jehanne de France du grand Blaise Cendrars. Elle tisonne la flamme épique dans l’herbe immortelle. « Même la mort de l’amour / ouvre un horizon de nouvelles promesses. » Elle fait défiler ses « pensées-express » ; elle attend de son semblable qu’il « se propulse de la catapulte technologique ». Le monde bouge et frémit à chaque vers, pour en revenir « au premier désir / c’est terrible / d’être une femme avec un homme. » C’est donc un beau recueil levé dans la lumière d’un nouveau monde, d’un monde régénéré, que parcourt cet Oiseau invisible du Temps. Murielle Compère-Demarcy a raison d’écrire : « Je marche dans un corps d’écriture » à la rencontre d’un amour neuf qui nous emporte bien au-delà de la langue.
Pierre Perrin, note du 21 janvier 2019
- Les pages de lancement pour 100 notes de lecture sur Le Frais Regard
- Paloma Hidalgo – Canetti & Goldberg – Paul Valéry – J.-F. Migeot
- Jean-François Mathé – Richard Millet – Sabine Huynh – Alain Duault
- René de Ceccatty – Paul Gadenne – Claire Fourrier – Catherine Dutigny
- Claire Boitel [deux titres] – Domi Bergougnoux – Jean-Pierre Siméon [deux titres]
- S. Tesson – V. Megglé – C.-A. Planchon – C. Krähenbühl et D. Mützenberg –
- Jérôme Garcin – A. Nouvel – J.-M. Delacomptée – M. Compère-Demarcy –
- – Céline Debayle – Jean-Jacques Nuel – Mathilde Bonazzi – Éric Brogniet –
- – Patrick Grainville – Didier Pobel – Stéphanie Dupays – Ariane Bois –
- – Carole Zalberg – Éric Poindron – Jacques Réda – M. Compère-Demarcy –
- Pierre Jourde – Gwenaële Robert – W. B. Yeats – George Orwell –
- J.-F. Mathé – André Blanchard – Jean-Michel Delacomptée – Sophie Calle –
- A. Baldacchino – Jean-Pierre Siméon – Marie Murski – Emma. Delacomptée –
- Gwenaële Robert – Marc Villemain – Marc Dugain – Éric Brogniet –
- Jean-Michel Delacomptée – Éric Poindron – Michel Baglin – Patricia Suescum
- Jean-Marie Kerwich – Nimrod – Richard Millet – Jean-Pierre Poccioni
- Francesco Pittau – La Revue littéraire – Alain Nouvel – Jean Le Boel
- A.C. Rodriguez – Jean-Claude Pirotte – E. Delacomptée – Gérard Chaliand
- J.M. Delacomptée – Jean-Yves Masson – Jacques Réda – François Laur
- Thierry Radière – Natacha Appanah – Louisiane C. Dor – Jean-Pierre Georges
- Adeline Baldacchino – Franck Balandier – Adrien Goetz – Estelle Fenzy
- Guy Goffette – Adeline Baldacchino – Claire Fourier – J.-Claude Martin
- Frédéric Tison – J. Viallebesset – Dom. Sampiero – Pat. Delbourg
- Sophie Pujas – A. Baldacchino – Marlène Tissot – S. Rotil-Tiefenbach
- J.M. Maulpoix – Sophie Pujas – Philippe Delaveau – J.M. Delacomptée
Murielle Compère-Demarcy a donné un poème dans le numéro 36 de la revue Possibles. Le recueil ci-dessus est disponible en librairies ainsi que sur la page du site des éditions Henry.