Élias Canetti & Leah Goldberg
Heureux ceux qui sèment et ne récoltent pa
récit, Accro éditions, 168 pages, 19 €
Le titre est emprunté au premier vers du dernier des douze poèmes, publiés en Hébreu sous le nom de Ben-Yitzhak, de Avraham Sonne [1883-1950]. Le préfacier, Marco Filoni, rapporte entre autres que, non sans voyager, à Londres, Berlin, Trieste, Jérusalem, le poète a surtout habité Vienne jusqu’à l’occupation de l’Autriche en 1938. Ses douze dernières années le fixent en Palestine. L’incendie par les Russes de la maison de sa mère, en 1915, où il avait placé en sécurité, croyait-il, tous ses manuscrits, en hébreu et allemand, tous partis en fumée, le marquera tant qu’il renoncera à toute publication, les douze poèmes exceptés. Or son nom était révéré dès sa jeunesse. C’est donc le portrait intellectuel et moral de cet homme que rapporte ce livre. Deux témoins l’ont fréquenté assidûment, le premier à Vienne, durant quatre ans, la seconde, à Jérusalem, les douze dernières années. Tous deux narrent les motifs de leur admiration. Les profils diffèrent, non sans se rejoindre.
- Les pages de lancement pour 100 notes de lecture sur Le Frais Regard
- Paloma Hidalgo – Canetti & Goldberg – Paul Valéry – J.-F. Migeot
- Jean-François Mathé – Richard Millet – Sabine Huynh – Alain Duault
- René de Ceccatty – Paul Gadenne – Claire Fourrier – Catherine Dutigny
- Claire Boitel [deux titres] – Domi Bergougnoux – Jean-Pierre Siméon [deux titres]
- S. Tesson – V. Megglé – C.-A. Planchon – C. Krähenbühl et D. Mützenberg –
- Jérôme Garcin – A. Nouvel – J.-M. Delacomptée – M. Compère-Demarcy –
- – Céline Debayle – Jean-Jacques Nuel – Mathilde Bonazzi – Éric Brogniet –
- – Patrick Grainville – Didier Pobel – Stéphanie Dupays – Ariane Bois –
- – Carole Zalberg – Éric Poindron – Jacques Réda – M. Compère-Demarcy –
- Pierre Jourde – Gwenaële Robert – W. B. Yeats – George Orwell –
- J.-F. Mathé – André Blanchard – Jean-Michel Delacomptée – Sophie Calle –
- A. Baldacchino – Jean-Pierre Siméon – Marie Murski – Emma. Delacomptée –
- Gwenaële Robert – Marc Villemain – Marc Dugain – Éric Brogniet –
- Jean-Michel Delacomptée – Éric Poindron – Michel Baglin – Patricia Suescum
- Jean-Marie Kerwich – Nimrod – Richard Millet – Jean-Pierre Poccioni
- Francesco Pittau – La Revue littéraire – Alain Nouvel – Jean Le Boel
- A.C. Rodriguez – Jean-Claude Pirotte – E. Delacomptée – Gérard Chaliand
- J.M. Delacomptée – Jean-Yves Masson – Jacques Réda – François Laur
- Thierry Radière – Natacha Appanah – Louisiane C. Dor – Jean-Pierre Georges
- Adeline Baldacchino – Franck Balandier – Adrien Goetz – Estelle Fenzy
- Guy Goffette – Adeline Baldacchino – Claire Fourier – J.-Claude Martin
- Frédéric Tison – J. Viallebesset – Dom. Sampiero – Pat. Delbourg
- Sophie Pujas – A. Baldacchino – Marlène Tissot – S. Rotil-Tiefenbach
- J.M. Maulpoix – Sophie Pujas – Philippe Delaveau – J.M. Delacomptée
Prix Nobel en 1984, Canetti [1905-1994] porte haut un homme bon, doté d’une mémoire à nulle autre pareille, d’un tact raffiné, au jugement sûr, et brillant sans ostentation. « Il ne parlait jamais de lui. Il ne disait jamais rien à la première personne. » L’attitude tranche avec « cette inflation de discours égocentriques, de protestations, de proclamations et d’affirmations de soi » dont s’enchante le brouhaha littéraire. Le témoignage est passionnant, car il déborde l’époque « déjà polluée de slogans ». Le poète effacé « fournissait sur tout sujet une expertise [ainsi que] les germes de toute amélioration possible ». Canetti insiste sur la discrétion du docteur Sonne [le soleil, en allemand]. « Il était impensable que quelqu’un se sentît humilié en sa présence. » Concernant ses lectures, « il ne disséquait pas, il irradiait ». Le poète parlait de façon aussi transparente que Musil écrivait. Par-dessus ces compliments, c’est l’époque de Vienne tout entière, avant l’Anschluss, qui s’éclaire.
Le récit de Leah Goldberg [1911-1970] est à la fois prolixe et moins révérencieux. Comme son prédécesseur, elle a vu chez Sonne un mutisme sans concession, « le visage fermé à double tour ». Le poète pouvait ignorer qui ne lui plaisait pas, et donc blesser sans vergogne. Elle lui attribue une puissance, une supériorité, dans l’ordre de la spiritualité. Le vers, qui donne son titre à ce livre, « Heureux ceux qui sèment et ne récoltent pas » précède : « Car ils errent au loin. » Leah Goldberg narre leurs nombreuses rencontres, rapporte aussi des paraboles que le poète au silence créait à son tour, aussi nourri de la Bible qu’un prophète. Ces paraboles semblaient créer d’autres vies intérieures que la sienne. Tous trois évoquent, enfin, « une époque de fin de style », tandis que Sonne revendique « la haute fusion de l’art et de la réalité ». C’est donc un riche volume et, si j’excepte une coquille dans une expression latine, de très haute tenue.
Pierre Perrin, note du 7 février 2024