Paloma Hermina Hidalgo, Matériau Maman
roman, éditions de Corlevour, 160 pages, 18 €
De prime abord, le titre inscrit son auteur dans le champ de la littérature. Il entend prouver que cette œuvre en devenir est légitime. Un trauma la suscite. Matériau Maman l’explicite. Hidalgo veut être lue. Elle le mérite. Cristina est paru au Réalgar, 2020. En 2023, sa réédition s’accompagne d’une préface enthousiaste d’Alain Borer, qui égratigne la pauvreté de la langue de Le Clézio pour mieux louer la puissance poétique de celle de sa découverte. En quatre proses brèves, cette dernière y consigne que « l’enfance n’est que bouquets », en même temps que l’amant « me sépare de Maman, qu’il s’en va dépecer plus loin ». Paru aux éditions Sans escale, Rien, le ciel peut-être, 2023, une suite de poèmes en prose que Sampiero conseille de lire en faisant l’amour –comme il l’écrit peut-être lui-même –, se veut érotique. « Romps tes cycles, aime. Sève, résine : assez de tout ce rouge, garance. Bien assez de ton sang dans mes veines – dans mes tréfonds, qui l’enserrent. »
- Les pages de lancement pour 100 notes de lecture sur Le Frais Regard
- Paloma Hidalgo – Canetti & Goldberg – Paul Valéry – J.-F. Migeot
- Jean-François Mathé – Richard Millet – Sabine Huynh – Alain Duault
- René de Ceccatty – Paul Gadenne – Claire Fourrier – Catherine Dutigny
- Claire Boitel [deux titres] – Domi Bergougnoux – Jean-Pierre Siméon [deux titres]
- S. Tesson – V. Megglé – C.-A. Planchon – C. Krähenbühl et D. Mützenberg –
- Jérôme Garcin – A. Nouvel – J.-M. Delacomptée – M. Compère-Demarcy –
- – Céline Debayle – Jean-Jacques Nuel – Mathilde Bonazzi – Éric Brogniet –
- – Patrick Grainville – Didier Pobel – Stéphanie Dupays – Ariane Bois –
- – Carole Zalberg – Éric Poindron – Jacques Réda – M. Compère-Demarcy –
- Pierre Jourde – Gwenaële Robert – W. B. Yeats – George Orwell –
- J.-F. Mathé – André Blanchard – Jean-Michel Delacomptée – Sophie Calle –
- A. Baldacchino – Jean-Pierre Siméon – Marie Murski – Emma. Delacomptée –
- Gwenaële Robert – Marc Villemain – Marc Dugain – Éric Brogniet –
- Jean-Michel Delacomptée – Éric Poindron – Michel Baglin – Patricia Suescum
- Jean-Marie Kerwich – Nimrod – Richard Millet – Jean-Pierre Poccioni
- Francesco Pittau – La Revue littéraire – Alain Nouvel – Jean Le Boel
- A.C. Rodriguez – Jean-Claude Pirotte – E. Delacomptée – Gérard Chaliand
- J.M. Delacomptée – Jean-Yves Masson – Jacques Réda – François Laur
- Thierry Radière – Natacha Appanah – Louisiane C. Dor – Jean-Pierre Georges
- Adeline Baldacchino – Franck Balandier – Adrien Goetz – Estelle Fenzy
- Guy Goffette – Adeline Baldacchino – Claire Fourier – J.-Claude Martin
- Frédéric Tison – J. Viallebesset – Dom. Sampiero – Pat. Delbourg
- Sophie Pujas – A. Baldacchino – Marlène Tissot – S. Rotil-Tiefenbach
- J.M. Maulpoix – Sophie Pujas – Philippe Delaveau – J.M. Delacomptée
Un roman crée des personnages distincts, tous autonomes. La Chartreuse de Parme est un roman. Le récit part d’une personne à laquelle les autres se rattachent. La Porte étroite est un récit. Avec Matériau Maman, roman devenu récit sur la quatrième de couverture, ce qu’il est pleinement, la narratrice, qui vient de loin, met en scène une « analyse » de sa relation avec sa mère. D’entrée : « Il fallait, pour survivre, enfouir mon enfance dans le défaut de ma mère. » La trame consiste à dénouer de sa « camisole chimique » la jeune fille à l’hôpital Sainte-Anne. Entrée à la demande de sa sœur Cara, beaucoup plus âgée qu’elle, elle doit accepter la disparition de la mère, à la quarantaine, morte dans un accident de voiture. L’enfant n’avait pas rompu le cordon ombilical. Le père occupe une ligne du récit : « Un local, parti du foyer lorsque j’étais bébé. » La mère est dite bipolaire. Elle cherche l’amant, sans trouver l’affection. Elle embrasse sa petite sur la bouche. La grand-mère semble bonne, mais reste impuissante à consoler la petite-fille.
Le jour de la mort de sa mère, Nieve « affecte la froideur, cette forme achevée de l’héroïsme ». L’incapacité de pleurer signe une douleur logée si profond qu’aucune larme ne peut la soulager. « Pas une larme. Juste la poigne du néant dans ma chair. » Elle s’est crue si souvent abandonnée par sa pute de mère, elle l’a parfois haïe. « J’avais déjà compris qu’on n’étreint jamais sa mère que pour la perdre, le soir venu. » Le drame est que la perte arrive presque à l’aube de l’existence de Nieve. Sur la tombe, « je suis un œil sans paupière ». Quand elle se souvient, que sa mémoire la ramène à sa conscience, elle écrit : « Maman va de mâle en mâle : à la rigueur se substitue la frivolité d’une “chienne”. Mais à travers son inconstance, reste le fond inaltérable de sa tendresse pour moi ; elle s’acquitte, entre deux chasses à l’homme, des gestes du devoir maternel. »
Dans le cadre de sa réclusion à l’hôpital, Nieve s’attache à une bibliothécaire, écrit-elle, qui la persuade de coucher ses drames par écrit. « Les drames de l’enfance forment le “matériau” des écrivains. […] Ta mère : ton matériau. Fais-en un conte. » Là encore, tel un leitmotiv : « il n’y a pas d’affection dont je ne pressente la perte […] cette terreur où me jette la tendresse […] cette tendresse soit une manière d’atteindre le plus âpre de moi. » La même page donne à lire : « Je n’écris ces mots que pour elle ; je n’écris que pour nos moments sous le leurre d’un ciel. » La très précise et forte écriture de Paloma Hermina Hidalgo distille des formules dignes des maîtres. « L’écriture donne à entendre, mieux que la grande musique, le chuchotis des morts. » L’auteur épouse une autre foi, celle des lettres. « Je suis née trop tard dans un siècle sans Dieu. »
Matériau Maman s’avère un grand livre. Et la dernière phrase tend encore la langue : « Mais qu’avais-je à expier, Maman, sinon le crime de te survivre ? »
Pierre Perrin, Possibles n° 32, juin 2024. [Note du 20 février 2024]