Gwenaële Robert, Tu seras ma beauté, éd. Robert Laffont, 2017, 228 pages, 18 €

Gwenaële Robert, Tu seras ma beauté
éd. Robert Laffont, 2017, 228 pages, 18 €

RobertLisa, « une sensualité, une attraction physique », fait dédicacer pour sa mère un roman à succès. Pour elle, sportive en tout, « la vie est une course de haies dont chaque obstacle enjambé la rapproche du but ». Exceptionnellement intimidée par l’écrivain, qui a griffonné pour elle l’adresse de son éditeur, elle demande à Irène, sa collègue de français, « habituée à passer inaperçue […] classique jusque dans ses vertus », éprise de littérature, d’écrire à sa place en vue de conquérir le romancier à la mode. Irène, en mal d’enfant, « cette béance dans sa vie de femme », avec un mari notaire, se prend au jeu. La correspondance s’intensifie trois mois durant. Lisa obtient son RV. La sportive à bout de patience rejoint enfin l’écrivain pour une nuit… Le désarroi s’empare d’Irène. « Comment émouvoir sans jeter son cœur dans sa prose ? » La correspondance éviscérée, peut-elle continuer à vivre comme avant ? Dans ce Cyrano de Bergerac moderne, Gwenaële Robert raconte la naissance de l’amour par le seul pouvoir des mots portés par l’intelligence et la rêverie. Analyse de la passion, vrai coup de théâtre et émotion au dénouement, le tout, emporté par une écriture de qualité, fait de ce roman bien conduit un plaisir de lecture.
Beaucoup de délicatesse apparaît ici à l’œuvre. Le mari, pour être notaire en province, n’en est pas moins homme, en un sens inattendu : « Il devinait trop sa douleur pour y adjoindre la sienne ». Dans cet « adultère épistolaire », qu’on voit poindre, écarter les murs, Gwenaële Robert sait dire en peu de mots l’essentiel : « Ce vide entre eux, c’est aussi leur ciment ». Elle cerne bien l’approche des êtres, autrefois, mais ces époques sont-elles vraiment révolues ? « Elle l’avait épousé parce que, le premier, il avait employé le mot toujours. » Elle révèle la crainte devant l’aube de la sexualité, des deux sexes ; à l’autre extrémité, la routine lui fait écrire : « Parfois, la nuit, la main se glisse sous les draps de coton blanc pour l’atteindre, sur l’autre rive de leur lit conjugal. Et c’est alors […] une étreinte équitable ». Comment ne pas adorer cette remarque : « La vie réelle charrie infiniment plus de clichés que n’importe quel roman » ? Quant à l’écriture proprement dite, sous le couvert d’Irène, Gwenaële Robert écrit qu’il y a « quelque chose qui relève de l’hémorragie, une esthétique du déluge », mais elle reste, dans ce livre, parfaitement maîtrisée.

Certaines scènes sont mémorables. Celle de l’atelier d’écriture stigmatise la jalousie, la méchanceté, la bêtise qui peuvent régner dans ces sortes de sectes : « Une femme entre deux âges, qu’on estimait beaucoup au sein du groupe parce qu’elle avait gagné un troisième prix à un concours de nouvelles organisé par un site d’amateurs, avait fait remarquer »… que n’est pas George Sand qui veut, même en province. « Le livre est devenu un produit commercial comme un autre, les auteurs sont les victimes idéales des conseillers en image »… À cette remarque générale, fait écho une autre scène tristement savoureuse, celle d’une classe de lycée à la bibliothèque municipale. Qui douterait de « l’indifférence des élèves pour la culture, le livre en particulier » ? Les ricanements, les sarcasmes, l’impuissance de l’institution ! Tout est saisi à vif, jusqu’à l’os. Le plaisir est grand aussi de lire la réaction de l’écrivain à succès dans sa première lettre de retour : « Je serais idiot de prendre ombrage de l’indifférence que vous masquez fort mal pour ma prose ! »
Gwenaële Robert, qui vit à Saint-Malo, a publié huit livres pour la jeunesse. Tu seras ma beauté est son premier roman pour adultes. Son titre reprend, dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, le second hémistiche du vers : « Je serai ton esprit, tu seras ma beauté ». — Ce roman a obtenu le Grand Prix National Lions de littérature, le 9 mai 2019. — Pour la rentrée littéraire de 2018, Gwenaële Robert a publié Le Dernier Bain. Au printemps 2019, ce deuxième roman est riche de quatre prix : le Prix Terre de France remis par Franz-Olivier Giesbert dans l’abbaye de Fontevraud, décembre 2018 ; le prix Brise-Lames, le prix Montesquieu, le prix Bretagne 2019. Et ses livres de jeunesse, Célestine illustrés par Myrtille Tournefeuille, se haussent dans les meilleures ventes. Mille bravos pour tout ce qui la constitue.

Pierre Perrin, note du 26 octobre 2017 – ajout le 12 mai 19


Page précédente — Imprimer cette page — Page suivante