Gwenaële Robert, Le dernier bain, éd. Robert Laffont, 2018, 230 pages, 18 €

Gwenaële Robert, Le dernier bain
éd. Robert Laffont, 2018, 230 pages, 18 €

Le dernier bain

Ce deuxième volume succède à Tu seras ma beauté ; il paraît aussi dans la collection “Les Passe-Murailles”, dirigée par Emmanuelle Dugain-Delacomptée. Fidélité à et de l’éditrice hautement justifiée. En couverture, une reproduction du tableau de Marat ; l’original, ne mesurant que 1,62 x 1,28 m, appartient tout de même à la peinture d’histoire. David l’a voulu ; et force thuriféraires de la Révolution continuent d’humaniser le monstre ; la délation instaurée en système lui permettait d’envoyer des dizaines de personnes chaque jour à la guillotine. Quant au roman, il est d’une rare force historique, politique, littéraire et sentimentale. La narration couvre sept jours, exécution et procès compris. Tout commence en effet, dès l’exergue, par ce détail : lettre de C. C. à son père, la veille de son exécution. S’ensuit une mise en doute de la véracité de ce qui nous a été transmis, par l’ami peintre. C’est assez pour engrener l’intérêt de la lecture.
C’est un roman constitué de scènes qui s’enchaînent selon une machinerie que seul le destin sait ourdir et que Gwenaële Robert maîtrise à ravir. Elle pose, outre Marat, la victime, et son ami David, Charlotte Corday, venue de Caen ; mais aussi une anglaise, Jane, qui a passé la Manche pour venger son père que le médecin Marat avait laissé mourir. Il y a encore une famille déclassée, le père perruquier reconverti coiffeur, la mère en charge du linge de la Reine, un fils moine, apostat mais non couard, et une fille-mère délurée. Tous ces êtres, parmi les principaux, sont vivants, attachants à travers les mystères qu’ils incarnent. Pour le côté historique, tout concorde. « Tout s’achète, même sa propre déchéance. » Un poignard se glisse dans « un étui de chagrin ». On sépare la reine de son fils, qui a huit ans, pour mieux la tuer de remords.
Côté politique, Gwenaële Robert use de véracité, sans peser. « La révolution est née de là, de cet abîme qui existe entre le langage de la Cour et celui de la rue, celui du pouvoir et celui du peuple. » Elle observe que le choix d’un précepteur rustre pour le Dauphin est un signe. « Fils du peuple ou fils de roi, tous sont sommés de regarder vers le bas. » Elle parle de « l’éloquence bouffie des révolutionnaires ». Mettant en scène le tribunal qui juge Charlotte Corday, elle laisse entendre la puissance d’une détermination. La peine de mort vient pour elle comme une grâce. N’en est-il pas ainsi, aujourd’hui, pour les fauteurs d’attentats ? Marat n’était pas innocent. « Le tyran tué, son crime court encore. »
Pour la littérature, c’est un rythme enjoué. La phrase est courte, mais jamais minimale, encore moins nominale. Gwenaële Robert multiplie les trouvailles : « une toile épistolaire […] une beauté à vous convertir un hérétique  […] sa poitrine se soulevait doucement, comme une anémone de mer, ténue et frémissante ». Elle maîtrise à ravir les antithèses. « Le peintre célèbre la mémoire de son ami, mais tient à ce que l’on n’oublie pas la sienne. » Dans la belle scène du fils qui s’est sacrifié pour Jane qu’il aime à distance, en vain, le chapitre se termine sur cette mention qui dit tout du père : « il a perdu un fils et pourtant, cette nuit, c’est lui qui est orphelin ».
De même que dans son précédent roman, Tu seras ma beauté, paru (et présenté) l’an dernier, Gwenaële Robert analyse les sentiments avec finesse. Julie, par exemple, engrossée par Marat qui n’a pas reconnu l’enfant, participe à la fête de son enterrement qui remplace le quatrième anniversaire de la prise de la Bastille. Elle y tient un rôle de vestale, s’appelle Messidor. Mais « son chagrin s’est aligné sur celui de la foule ; elle est triste par mimétisme et zèle patriote ». Quant à Jane, elle est protestante anglicane ; « la liste de ses péchés s’inscrivait en elle comme dans le marbre » ; elle offre « une âme toute droite à force d’émonder ses désirs ». En bref, voilà une réussite qui, j’en suis sûr, connaîtra un beau succès.

Pierre Perrin, note du 2 juillet 2018



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