René de Ceccatty, Le Soldat indien, éditions du Canoë, 2021, 168 pages, 15 €

René de Ceccatty, Le Soldat indien
éditions du Canoë, 2021, 168 pages, 15 €

couvertureSi le genre n’est pas précisé sur la couverture, c’est que ce volume offre un récit. « Un roman est, pour son auteur, l’occasion, en transférant des éléments autobiographiques dans ses personnages, de les revivre à travers eux. » Auteur d’une cinquantaine de livres remarquables, René de Ceccatty ne cherche pas à revivre, mais à se trouver. Il conduit l’aventure de sa recherche en trente-neuf chapitres souvent brefs. L’avant-propos consigne : « J’ai voulu l’aridité d’un récit qui ne cache ni ses manques ni ses difficultés à faire renaître un homme obscur. » Tunis où l’auteur fut enfant, l’Inde où son Colonel s’est marié entre deux batailles et le Jura où l’homme d’épée a terminé son existence constituent les trois pôles géographiques de la quête. Le récit tisse des histoires, mais il délivre davantage de secrets. Des réflexions historiques – c’est bien le moins –, des convictions propres à un écrivain ; et des aveux transportent à la source du plaisir de lire. « Il n’est pas de littérature qui ne soit, ne fût-ce que par l’acte de publication, suspecte de trahison ou du moins d’imperfection et donc d’infidélité et d’échec. » Les citations attestent combien ce livre appartient à la littérature.
« Remontons dans le temps à tâtons. » C’est ainsi que l’auteur nous prend le cœur, par sa voix. L’Histoire à proprement parler est passionnante. Elle révèle la vie d’autrefois. Il y a deux siècles, un voyage en mer n’était pas une sinécure. Un coup de vent noyait des marins ; la maladie faisait le reste, qui emportait un dixième de l’équipage. Un journal de bord tenu par Bernardin de Saint-Pierre reste digne de foi. Côté histoire, Judith Gautier a narré des batailles où courent toujours les mêmes meurtres – inutiles –, le souffle des agonisants, la famine imposée à une ville assiégée. Pour sa recherche sur les lieux de son enfance, René de Ceccatty en appelle à la poésie. « Vieil Œdipe boitillant […], je m’abrite de l’averse du printemps. » Des profanations de tombes l’écœurent. Au-delà de l’insulte faite à un mort, il lit une volonté d’effacement. L’oubli est inhumain ; « l’oubli, ce qui nous menace, tous ». Claude Michel Cluny aimait dire : « Le passé est ce qui nous attend ».


Dans ce récit du Soldat indien, tout en nuances, les richesses sont innombrables. Le lecteur enchanté découvre les difficultés d’appartenir à un temps révolu, de devoir en changer, de se préférer autre et neuf. « Le cahier d’écolier était le seul objet qui me procurait une sensation d’appartenance non à un pays, ni à une fonction, ni à une identité, mais à un rôle ; […] à vouloir chercher des points communs, on perd toute personnalité. » Celle de l’auteur reste discrète et claire à la fois. La douceur le précède, qui n’empêche nullement la clarté de ses vues – sur les si stupides guerres –, en même temps qu’elle aiguise sa plume : un sans faute si rare, loin de tous barbarisme et solécisme. Le dernier chapitre rappelle, par-delà les destins d’une dizaine de personnages attachants, l’homme de guerre revenu non loin de la Furieuse qui traverse Salins-les-Bains, dans son hôtel particulier avec sa femme épousée à la Réunion, plus jeune que lui, des enfants musiciens, deux peintres et cette Anjâli heureuse d’avoir été ramenée de « Pondichéry (là où poussent les ifs) », que chaque être à la mesure des événements traversés ressemble « à un entrelacs de glycine ». Ainsi que ce parfum, un bonheur émane de ce récit, qui demeure une fois le livre fermé.

Pierre Perrin, note du 11 février 2029 parue dans Quinzaines n° 1244

Note sur L’Éloignement, Gallimard, 2002

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