Éric Brogniet, Bloody Mary, Road movie pour Marilyn Monroe, illustrations de Thierry Wesel, Préface de Marie-Ange Bernard, Le Taillis pré, 2019, 96 p., 14 €

Éric Brogniet, Bloody Mary
Road movie pour Marilyn Monroe, illustrations de Thierry Wesel
Préface de Marie-Ange Bernard, Le Taillis pré, 2019, 96 p., 14 €

Éric Brogniet

Le titre n’est pas traduit ; mais dès la troisième ligne de la préface, Marie-Ange Bernard précise : « errance d’un personnage en rupture avec l’univers qui l’entoure ». Le sujet a priori, l’évocation d’une icône qui me reste étrangère, l’abstraction des illustrations et d’autres enjeux m’ont d’abord tenu à distance de ce recueil. Or je goûte l’écriture de l’académicien belge Éric Brogniet depuis près de trente ans. Presque trois mois sont passés, sans que je rédige la note attendue. « Que cherchons-nous à édifier ? / Entre le monde et ses ruines / Quelle énigme est devant nous ? » À l’évidence, le volume vaut qu’on lui prête attention. Il faut toujours sortir de ses œillères. Le regard du poète prend de l’altitude dès l’entrée du mausolée. Le poème est même défini, au-delà du désir, en clin d’œil à Jaccottet : « une transaction secrète / Entre ce qui vit et ce qui va mourir » [c’est moi qui souligne le titre de Jaccottet]. Et Brogniet d’interroger la morte célèbre : « ton ombre sert-elle de paravent / Aux ombres de tes ombres / Et à celles de ceux qui te vampirisent ? »


Brogniet excelle dans le verset. Il a le souffle, l’habileté des renversements de tous ordres, le sens de la formule. « Le seuil n’est pas l’épissure d’un monde / Mais le scalpel qui tranche dans l’âme. » Il définit Marylin comme « un napalm sur fond d’azur », plus encore « une voix venue du sexe », « un lévrier de luxe » et « ce cœur de crital, cette beauté en boucle sur le trou noir de sa vie ». Les féministes vont-elles lui tomber dessus à sexe raccourci ? Il dit encore de son beau rêve outre-Atlantique, il la dit encore, Marylin : « Poupée de sciure et de cire / Icare transfiguré dans cette arène / Donnant la réplique à ses ombres ». Il ne manque pas d’humour, quasi fiduciaire, à stigmatiser « Hollywood est un Gold Gotha », sans oublier « Les lois du Capital et du Capitole ». Et pourtant, qu’il me pardonne si je reste circonspect devant une telle audace : « S’il n’existe pas de serrure, il faudra la fracturer ». Le pas de la réflexion exige l’écart : le coffre-fort ici relève de la foi. Seuls les rois du zigzag trouvent tout parfait ; ne lisant pas ou peu, rien ne les fait s’interroger – sauf que ces critiques-là ne voient pas davantage la grandeur ni ses prémices. « Que sera dans la défaite ultime / le fugace éclat qui nous sauve / Du massacre qu’on appelle la vie ? »
Quoi qu’il touche de son encre – et voilà son quarante-cinquième volume –, Brogniet est grand. Il importe de le signaler. Et je le remercie pour sa confiance.

Pierre Perrin, note du 31 mai 2019

Une précédente note, en date du 3 octobre 2017 présentait deux recueils d’Éric Brogniet, Radical Machines, Le Taillis Pré, 2017, 102 pages, 14 € ainsi que Tutti Cadaveri, édition bilingue, traduction en italien par Rio Di Maria et Cristiana Panella, L’Arbre à Paroles, 2017, 48 pages, 10 €. Le poète est aussi présent dans la revue en ligne. Il fut le contemporain du n° 7 dès le mois d’avril 2016.


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