Claire Boitel, Vitamines noires, roman, éd. Rafaël de Surtis, 2020

Claire Boitel, Vitamines noires
roman, éd. Rafaël de Surtis, 2020, 104 pages, 15 €

Vitamines noires de Claire BoitelLa reproduction d’une œuvre d’Alain Breton orne la couverture.
Le poète Frédéric Tison préface brièvement le volume. Il relève d’emblée « l’écriture ciselée de l’auteur, ponctuée d’ellipses », évoque une « nouvelle Alice au pays des merveilles », écrit qu’elle se découvre à elle-même digne d’intérêt », pour achever sur « une étreinte difficile avec le monde et celle des méandres et des secrets d’une femme-flamme et d’une artiste créatrice ».
Je partage l’admiration que Claire Boitel éprouve pour l’œuvre de Frédéric Tison. Je souscris aux relevés ci-dessus. La lecture de Vitamines noires m’a toutefois suggéré une autre vue, tant ce volume offre la richesse d’une parabole. La composition la distingue déjà. Le volume comporte trois chapitres d’une étendue très volontairement déséquilibrée. Le premier compte dix pages, le dernier se contente de trois. L’essentiel habite donc le cœur du livre.
Le premier chapitre pose l’intrigue ; le dernier l’exécute au deux sens du terme ; l’intrigue se clôt sur la mort de la narratrice qui figure aussi le personnage principal. Le roman est écrit à la première personne du singulier.
Quelle est cette intrigue ? Une invisible, accessoirement une clocharde, se fait soudain remarquer, choisir par un individu mystérieux pour accomplir une tâche singulière, déposer une allumette dans le métro, sans autre explication. À sa propre surprise, elle réussit l’épreuve. Cette invisible observe qu’elle « ne parle plus à voix haute depuis longtemps. Mes pensées en profitent pour redoubler d’intensité ». C’est justement ces pensées muettes qui intéressent son nouveau « maître ». Elle le suit dans un monde qu’elle situera plus loin sous terre. Elle accepte l’enfermement.


Le début du chapitre deux fait savoir qu’elle a « franchi le dernier seuil », que « le dénuement a éteint espoir et moralité ». Elle se livre à son maître « plein d’attentions. Il entre en moi. Nous ne nous quitterons jamais. » Femme, Claire Boitel ajoute : « Les mains dans les mains de mon amant, je suis parcourue, corps et esprit, de courants délicieux, c’est un rapt de tout mon être ». Tous deux évoluent vers l’art, en même temps que la narratrice use des images de la nature pour donner à voir sa jouissance. Elle se sent « coupée en deux : la femme qui a peur, celle qui jouit. Mon visage ne trahit rien ». Elle écrit encore : « Je suis la mer fendue par un navire, le voilier soufflé par la tempête, un nuage qui éclate sous le vent ». Elle découvre que cet amant est aussi un manipulateur, sans en être certaine. Ce duo est rattrapé par d’autres personnages comme dans un conte.
L’essentiel selon moi, la dimension essentielle, de ce roman touche à « l’art tout puissant, l’art roi, qui nous inonde de sensations ». Claire Boitel, tout en restant « entière dans la gueule du plaisir », déclare : « Je ne veux plus rien avoir à faire avec le monde […] je suis amoureuse de ce qui en moi provoque le plaisir […] Plus j’invente, plus il y a à inventer, cet infini m’attire et m’emplit de jouissance ». Elle sonde en ces pages sans appoggiatures le mystère de l’écriture. Elle note : « lorsque j’écris, je suis rongée par la peur […] Mais la volupté est aiguë, au point de me faire envoler. L’anxiété, c’est le plomb dans l’aile ». Elle ne se borne pas à donner à voir ce qui peut faire frémir un écrivain. Elle atteint le but de sa recherche : « je rêve d’enivrer tous les êtres humains afin que chacun raconte sa véritable histoire. Enfin, nous saurions tout »… ] Être aimé est l’une des rares manières d’avoir de vraies informations sur un être humain […] Nous sommes des fabricants de secrets […] notre moi profond, notre âme, est étrangère à tout ce déploiement de chair et d’intelligence ».
Voilà bien le sens du livre dans sa veine profonde, je crois. Le dernier chapitre, en trois pages laconiques, atteste : « Je marche jusqu’à la Vérité ». C’est donc un roman original que Vitamines noires, à la marge du genre, ou plutôt de l’époque folle de ses paillettes. Il fore notre humanité tel un puits artésien. Les citations égrenées ci-dessus disent assez la parfaite maîtrise de la langue et du sujet qu’elle révèle en plénitude.

Pierre Perrin, note du 28 décembre 2021


Le nouveau récit de Claire Boitel, La nuit est à toi, mars 2022

Pour acquérir ce volume, deuxième titre sur la page de l’éditeur


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