Domi Bergougnoux, La Craquelure, Al Manar, 2021, 88 pages, 15 €

Domi Bergougnoux, La Craquelure
Al Manar, 2021, 88 pages, 15 €

Bergougnoux« Il n’y a pour l’homme que trois événements : naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre. » La Bruyère, Les Caractères, 1688 [De l’homme, 48]. Vivre, écrit Domi Bergounoux en sa dernière page, consiste à « ouvrir et fermer les yeux sur le monde ». Nous le faisons tous dix, vingt, cent fois par jour. Il est bon qu’une femme poète le rappelle. Elle possède aussi le talent de conduire un poème à son terme. Elle a le sens de la formule, de l’image qui précise le sentiment qu’elle traduit [« des dents serrées jusqu’à user l’émail »], et surtout la douleur originelle sans laquelle un poème ne vit pas ni n’éclaire personne. Elle a construit son recueil, qui est son troisième, que Jean-Denis Bonan illustre de trois dessins originaux, en deux parties inégales. De moitié moindre en nombre de pages, la seconde essaie d’apprendre à voler comme les oiseaux. « Je n’ai pas d’autre chant / que celui que je tais. » Domi Bergougnoux offre des vers si pleins qu’ils débordent. « Le passé est une pierre posée sur la nuque » ou – le choix ne manque pas – « nul n’offre ses mains unies à la lenteur de l’espérance. »


La première partie compte le double de pages de la seconde. Elle s’avère encore plus nécessaire, s’adresse tout entière à la douleur. On connaissait Le Petit Prince cannibale de Françoise Lefèvre sur un sujet voisin, l’autisme d’un enfant, un récit sans concessions en même temps que l’auteur, qui est aussi mère, exprime une foi dans l’accession à une vie normale. La tendresse aura réussi où la médecine piétine.
Titrée Fêlures, la première partie du recueil de Domi Bergounoux compose un portrait à vif de la douleur humaine en la personne de cet autre – un loup, titre-t-elle un poème – blessé, sans parole, qui se fait mal pour se sentir vivre. « Il taille le silence en pointe. » Il n’écoute pas, sinon l’absence qui l’enferme. Parfois le vers est bref, proche du tesson de bouteille. « Il s’arrache le cœur. » Il côtoie la plénitude. « Un haut degré d’alcool a desserré ton âme / le sel de tes larmes a coulé sur mes mains. » L’ogre, au final, forme un très beau poème. Et la mère paraît en filigrane éblouissant. « J’ai passé tout l’été à éteindre des feux. »
Je recommande cette Craquelure à tout lecteur sensible. Les autres pourraient les rejoindre. Il n’y a bien que ce titre, qui dit une fente, une ride, pour paraître un peu faible. Les poèmes portent haut. Ils emportent loin. De modeste dimension, ce grand recueil ne laisse personne indifférent.

Pierre Perrin, note du 22 mars 2022

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