Alain Nouvel, Anton
éditions La Chimère, 104 pages, 16 €

C’est un très bel objet. Une couverture avec rabats imprimés devient rare. La vignette de première de couverture impressionne. À l’intérieur, la page de titre mentionne « conte philosophique » et la quatrième de couverture développe ainsi la notion : « ce conte initiatique, baroque, propose un voyage où l’imaginaire et le rêve révèlent une autre réalité ». Le projet du livre apparaît sur la première page : un « enfant vieux » s’engage à raconter comment la joie lui est venue. Si j’ai compris le sens du conte, la joie réside dans l’œuvre accomplie et se déploie dans la résistance au temps. Elle reviendrait donc à s’accepter tel un autre soi-même. La philosophie reste moins simple que le conte. Le conte narre et éclaire le concept au long du voyage.
Sur le plan du style, Alain Nouvel met en branle une belle prosodie. Il a le don des images fortes. Son Anton, c’est un peu Bruchner, écrit-il. La musique d’aujourd’hui se résume à : « bruits de lessiveuse, démarreurs, boîtes de conserve, débris de verre, vieux moteurs ». Ces matériaux dit nouveaux sont « bien » entendus, leur harmonie ne pouvant l’être. Un monde faux jusque dans la musique désormais justifie la nécessité de se recentrer sur soi. Le conte appelle aussi une oralité qui recourt au « ça ». Ce démonstratif contracté ne montre rien ni personne mais frappe l’oreille comme un bâton le sol. « La musique, ça réunit quand la parole sépare. » Le conte en son oralité appelle à reprendre des sujets : « la jeunesse, elle porte […] les fous, ils vont […] le goudron, l’essence, ils nous étaient fournis […] les essuie-glaces, heureusement qu’ils balayaient […] ce jeune homme, il était intelligent ». Je ne juge de rien. Ces détails que ma sensibilité à la langue me font observer côtoient d’heureuses formules : « Nous nous fuyons en nous disant des mots d’amour. […] Quand on vit, on est toujours au bord du vide. » Quand on est mort, on s’est éloigné du bord, de tous les bords. Il n’est peut-être pas inutile de le rappeler.
- Les pages de lancement pour 100 notes de lecture sur Le Frais Regard
- Paloma Hidalgo – Canetti & Goldberg – Paul Valéry – J.-F. Migeot
- Jean-François Mathé – Richard Millet – Sabine Huynh – Alain Duault
- René de Ceccatty – Paul Gadenne – Claire Fourrier – Catherine Dutigny
- Claire Boitel [deux titres] – Domi Bergougnoux – Jean-Pierre Siméon [deux titres]
- S. Tesson – V. Megglé – C.-A. Planchon – C. Krähenbühl et D. Mützenberg –
- Jérôme Garcin – A. Nouvel – J.-M. Delacomptée – M. Compère-Demarcy –
- – Céline Debayle – Jean-Jacques Nuel – Mathilde Bonazzi – Éric Brogniet –
- – Patrick Grainville – Didier Pobel – Stéphanie Dupays – Ariane Bois –
- – Carole Zalberg – Éric Poindron – Jacques Réda – M. Compère-Demarcy –
- Pierre Jourde – Gwenaële Robert – W. B. Yeats – George Orwell –
- J.-F. Mathé – André Blanchard – Jean-Michel Delacomptée – Sophie Calle –
- A. Baldacchino – Jean-Pierre Siméon – Marie Murski – Emma. Delacomptée –
- Gwenaële Robert – Marc Villemain – Marc Dugain – Éric Brogniet –
- Jean-Michel Delacomptée – Éric Poindron – Michel Baglin – Patricia Suescum
- Jean-Marie Kerwich – Nimrod – Richard Millet – Jean-Pierre Poccioni
- Francesco Pittau – La Revue littéraire – Alain Nouvel – Jean Le Boel
- A.C. Rodriguez – Jean-Claude Pirotte – E. Delacomptée – Gérard Chaliand
- J.M. Delacomptée – Jean-Yves Masson – Jacques Réda – François Laur
- Thierry Radière – Natacha Appanah – Louisiane C. Dor – Jean-Pierre Georges
- Adeline Baldacchino – Franck Balandier – Adrien Goetz – Estelle Fenzy
- Guy Goffette – Adeline Baldacchino – Claire Fourier – J.-Claude Martin
- Frédéric Tison – J. Viallebesset – Dom. Sampiero – Pat. Delbourg
- Sophie Pujas – A. Baldacchino – Marlène Tissot – S. Rotil-Tiefenbach
- J.M. Maulpoix – Sophie Pujas – Philippe Delaveau – J.M. Delacomptée
L’histoire est à la dimension d’une vie ; les péripéties restent discrètes. De nombreux rêves en tiennent lieu. L’imaginaire est à son comble. Alain Nouvel ne pouvait mieux illustrer la formule : « Il suffit de parler pour apaiser les hommes », à ceci près que la parole aussi bien les excite et fomente les pires crimes. Il le sait, bien sûr. Dans la très belle confession de Feng, vers la fin, l’auteur écrit, laconique : « la liberté des hommes : presque rien ». Lui-même nous tient par la main. Dans un entretien postérieur à la publication, Alain Nouvel précise que ce conte forme un corps et tisse des fils avec son précédent recueil de nouvelles Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest paru aux éditions des lisières. Des personnages traversent en effet les deux volumes qu’ils invitent à mettre en perspective. Anton devient alors « une fantaisie et fugue littéraire ». Un critique un peu caustique se risquerait-il à prétendre que, comme pour une musique, le conte ne veut rien dire au sens propre ? Citez-moi un morceau de musique sceptique, dirait-il à l’adresse des sceptiques ! Mais chaque « note » ou « phrase » d’Anton nourrit un thème. « On attend toujours trop de celle ou de celui qu’on aime […] On ne console pas les morts. »
Pierre Perrin, note du 7 octobre 2019
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