Alain Nouvel, Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest, Éditions des lisières, 2016, 96 pages, 16 €

Alain Nouvel, Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest
Éditions des lisières, 2016, 96 pages, 16 €

couv. NouvelCette édition est originale au sens propre. Les pages de garde, de titre – y compris de chacune des sept nouvelles – et d’achever d’imprimer se lisent dans un format italien, comme un jet d’eau. La couverture s’honore d’une linogravure de Maud Leroy et de rabats généreux. Voilà donc qui met, sinon en bouche, en mains un bel objet. Qui serait heurté, à la troisième ligne de la page d’introduction, par ce cliché de vivre “blotti entre deux rochers”, qu’avaient assassiné dans les années soixante un Robbe et un Grillet, serait bien inspiré de pardonner. La suite est résolument tournée vers une perfection de bon aloi. La simplicité est ici élevée au rang de l’art. « Les vrais événements n’ont pas lieu sur les grandes scènes des hommes, mais dans le théâtre secret du monde, et singulièrement dans celui de ces consciences seules qui ont choisi de s’isoler pour se connaître et s’accomplir. »
Ces nouvelles sont relativement brèves, mais pleines. L’éditeur prévient avec justesse : « Érudite et onirique, l’écriture d’Alain Nouvel est pleine de questionnements et de fantaisie. » En fait de fantaisie, elle livre bien davantage un envers du monde ou une intériorité difficile à découvrir pour chacun. Ainsi, à la rencontre d’un maître de chapelle de tout un village, l’auteur nous révèle « un monde débarrassé de ces nuisances accablantes et banales que la modernité impose à notre cerveau […] Notre société a évidemment besoin de cette hystérie, de cette agitation, mais nous, non […] Ce qui était bruyant n’était que du silence alors que le silence, lui, parlait ». Une autre nouvelle fait entendre : « La plupart des gens […] ont un royaume trop grand pour eux. Ce n’est plus qu’ils règnent sur lui, c’est lui qui règne sur eux. » Une autre encore : « Et je sens en moi la lame d’un couteau théorique, mais d’une précision de scalpel, séparant l’être sensible et amoureux que je suis du calculateur que je ne suis pas assez, que je ne pourrais jamais être assez », sauf à accepter l’intelligence artificielle, au détour de laquelle il nous rappelle que Dieu « est passé par les hommes sans s’y arrêter ».
Il y a du photographe chez Alain Nouvel. Il saisit ce qui de lui se dérobe, du passé qui nous augmente et nous appauvrit à la fois. Il fait l’éloge de la lenteur et, en abyme, du lent travail d’artisan que nécessite l’écriture, « attendant qu’autre chose que moi vienne », et la relecture qui doit atteindre à la plus grande précision. Il englobe la mort, la sienne et celle de notre civilisation, dans des pages tout ensemble émouvantes et convaincantes. « Nos caprices parlent de nous plus que nos actes. » Le monde concret, tantôt comme des guirlandes sur le sapin, tantôt comme le sapin sous les lampions, file de page en page. La terre est chantée, mais comme « le chant creux d’un silence […] un chant d’ange glacé » à travers quelques paysages adorables et des faits sont rapportés sans détour, tel l’oiseau crucifié sur une porte de grange. « Il écrivait la mer parmi des vagues palimpsestes. » C’est donc un bel ouvrage, à haute teneur de poésie, que cet Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest.

Pierre Perrin, note inédite du dimanche 18 décembre 2016



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