Pierre Perrin lit Jacques Viallebesset, Ce qui est épars, Le Nouvel Athanor, 2016, 66 pages, 15 €

Jacques Viallebesset, Ce qui est épars
Le Nouvel Athanor, 2016, 66 pages, 15 €

couv. ViallebessetQuatrième recueil de Jacques Viallebesset, Ce qui est épars retient l’attention par bien des côtés. Déjà, comme son titre l’indique entre les lignes, il rassemble « l’unité de soi […] sur cette table de désorientation qu’est le monde », ainsi que l’auteur le consigne dans son Avant-dire. Ensuite le vers est maîtrisé, soutenu par un rythme et un sens qu’il est agréable de découvrir page après page. Enfin, l’univers du poète s’avère fraternel dans l’absolu, sans peser. Il énonce ainsi des vérités qui font mouche : « Vivre est une longue et lente initiation / Où va celui qui oublie le chemin ». Ou bien : Nous « vivons endormis dans un rêve éveillé / Les portes du songe donnent accès à la vie ».

Jacques Viallebesset, dont la modestie précise que son « ombre ne fait d’ombre à personne », déplore la perte de la spiritualité qui affecte l’Occident et qui rend, selon lui, des « humains / sans soif, sans faim, sans cœur, sans chair, sans désir ». Mais cette perte lui ouvre presque plus fort les yeux sur ces femmes embastillées dans du tissu, des pieds au crâne, à qui il tend, comme à travers des barreaux, un très beau poème intitulé l’ultime violence : « Femmes aux larmes de peur séchées / Le mal bestial assassine l’humanité / J’entends, j’entends vos pleurs muets […] L’intimité clouée au mur du malheur / À travers elles l’égalité de tous se meurt […] Femmes aux tristes yeux plombés / Poudre d’étoiles sous la terre couchées / J’ai honte de notre commune humanité ».

Son ouverture au monde ne s’arrête pas à cette affirmation de l’égalité nécessaire entre les deux sexes. Il cherche et cerne bien la vérité de nos comportements. Il dénonce « le miroir effarouché de la duplicité ». Il écrit : « Tu combats pour faire rendre gorge aux profiteurs ». De l’autre côté, par le chant de l’amour mais pas seulement, il enchante notre présence au monde : « J’entends vos pieds nus effleurer la tiédeur de la terre ». Le goût de la spiritualité, très discrète dans ce recueil, n’empêche pas de consigner par exemple : « Le monde enfin peut être beau / Pas demain ici maintenant / Puisque nous sommes vivants ». Il note encore : « La vie coule de moi comme une brûlure » à quoi répondent les eaux mêlées du partage amoureux, qu’il suscite à ravir jusque dans d’autres images : « Le pain a la saveur de ton rire ».

Comment, pour terminer, ne pas goûter cette sorte d’art poétique : « J’écris pour la venue d’un jour couleur d’orange / Nos vies sont balayées par un vent de cendres / Mais je veux boire encore la liqueur des étoiles / J’extrais le réel des archives secrètes du rêve / Pour rendre visible l’infini des possibles / Pour clamer haut les cœurs et bas les masques […] J’écris pour insuffler la vie aux jours vides / Parce que aimer, boire, chanter et puis / Le fil de mes mots me tient en équilibre / Les bras grands ouverts en guise de balancier » ? Cet art poétique est au service de la simplicité mais assez grandiose, qu’on en juge : « Jamais rien de vrai ne meurt l’Amour est vivant / Je ne suis qu’un homme porteur d’un humble trésor / Marchant à la rencontre du soleil levant ». Ce recueil mérite donc plus que le détour d’une lecture.

Pierre Perrin, note du 24 avril parue sur La Cause littéraire le 18 mai 2016


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