André Campos Rodriguez, Pour que s’élève ce qui n’a pas de nom, L’Ardent Pays, 2016

André Campos Rodriguez
Pour que s’élève ce qui n’a pas de nom
[choix de poèmes 1985-2015], L’Ardent Pays, 2016, 212 pages, 20 €

© RodriguezUn jour vient où le poète obéit à la nécessité de rassembler son œuvre. À l’exception de deux premiers recueils, écartés, une dizaine de précédents, devenus introuvables, augmentés de quelques inédits prennent rang dans une file qui fait sens, un sens accru de tenir dans une main. La présente anthologie, agréablement illustrée, au format de poche, est de surcroît éclairée d’une excellente préface d’Alain Lemoigne. Intitulée L’Art du sourcier, celle-ci définit ce qui caractérise André Campos Rodriguez. C’est en effet « un méditatif exigeant […] qui a élu domicile dans la réflexion ». Son obligation de rectitude, précise Alain Lemoigne, l’a conduit à « adopter un lyrisme dégraissé ». Et de louer enfin la concision appropriée, en le citant : « Parler du feu n’en fait pas ressentir la brûlure ».
Présentant son volume, André Campos Rodriguez évoque des méditations sensibles au fil d’un voyage à travers, écrit-il, « saisons, forêts, montagnes, vallées, fleuves, avec le souci d’atteindre enfin – la beauté à l’horizon du regard – la sérénité et la paix ». Tout cela semble juste, qui plus est, sur la durée. Le premier poème en effet circonscrit parfaitement le champ à parcourir : « Lutter contre le poids du temps / c’est, aveugle, lui offrir nos épaules / jusqu’au terme du souffle […] il s’agit moins de fuir que d’apprendre à / s’alléger, à laisser la cendre ». Corollairement, il note pour lui-même : « Prends soin surtout de l’enthousiasme […] pour distinguer et unir ». Il tente de concilier « l’ardeur / autant que le recueillement ». La fidélité à la vie conduit à une exaltation sans ostentation de la vie intérieure. Un grand prix est accordé au silence, partant à l’écoute. Une telle attitude, immémoriale en même temps que moderne, lui permet de rejoindre par exemple Marguerite Yourcenar. « Devant l’orage / ou l’incendie / l’arbre ne peut pas fuir. » Elle dénonçait dans Le Temps, ce grand sculpteur, en 1983, l’horreur devant la scie mécanique : « Abattre et tuer ce qui ne peut pas fuir ».
Au fil de sa quête, André Campos Rodriguez tresse des paradoxes : « comment prendre possession / quand nous sommes possédés », rappelle que « le fusil du temps / nous met en joue » et consigne : « L’absence devient mon vertige, / ma cathédrale invisible / dans la patience de l’herbe ». Sa méditation, dont le cours conduit à l’offrande, n’ignore rien du brame amoureux, encore que sa nature profonde, sa poésie en tout cas, le transcende en murmure, de sorte qu’il atteint souvent, dans cette métamorphose, au stade de la prière. « Je t’en prie. Donne-moi le temps de cette lumière qui dort à l’ombre de nos épreuves ; / Et que jamais ton élan, mon amour, de nos chances ne désespère. » S’il consigne vers la fin de son anthologie que « l’absolu n’est pas offert à tous », André Campos Rodriguez est bien près de l’atteindre.

Pierre Perrin, note inédite du 17 décembre 2016


Nimrod a d’ailleurs écrit en 1994 à son sujet, dans un Cahier Froissart : « Avec André Campos Rodriguez la parole se prononce. Nous habitons dans la voix et le souffle, un lieu – tantôt ample, comme la mer, le chemin ; tantôt étroit, comme le paysage que perce en nous la lumière –, oui, un lieu où être et grandir. »

Page précédente — Accueil — Page suivante