Thierry Radière, Copies, Jacques Flament éditions, 2016, 214 pages, 16 €

Thierry Radière, Copies
Jacques Flament éditions, 2016, 214 pages, 16 €

Thierry RadièreC’est un volume de la collection “philosophies”, sans autre indication de genre. En fait, ce volume se lit comme un roman, sans en être un. La quatrième de couverture interroge « lequel de l’amour ou de la littérature contamine l’autre ? Le correcteur d’une série de copies de bac de français se rend compte que la mémoire et les souvenirs, thèmes sur lesquels les candidats ont planché, sont des sujets trop difficiles pour des adolescents. Ce n’est qu’à la fin de son travail que lui-même parvient un peu mieux à cerner la question et à comprendre qui il est vraiment. Copies est ainsi une rêverie, une invitation poétique à parcourir les méandres de l’esprit contrarié d’un correcteur de copies […] et à visiter le cœur d’un homme qui découvre et analyse l’amour comme une œuvre artistique à part entière ».

Trois axes de lectures s’entrelacent avec brio. Le premier est, quoique le plus discret et délesté de toute référence chiffrée, presque sociologique. Il concerne l’appréhension que propose un professeur de ses élèves de premières et accessoirement de secondes. Le regard est sévère, sans excès. Ils n’aiment rien lire, en dehors de leur héros Harry Potter. Ils confondent littérature et télévision. L’instant est tout leur univers. « Ils sont formatés selon des normes virtuelles et elles leur échappent. Très vite, ils capitulent devant la difficulté. » Le professeur incrimine une pauvreté du vocabulaire, qui est rédhibitoire. « Il faudrait qu’on leur apprenne davantage à rédiger des énoncés courts. Une phrase, une idée ; pas d’idées, pas de phrases. » Sur ce thème intéressant, touchant plus largement à l’adolescence, il écrit encore : « Ils ont horreur des mensonges des autres mais, par contre, sont à l’aise avec les leurs, ceux qu’ils se disent à eux-mêmes. »

Le deuxième axe concerne le sentiment amoureux. Il est neuf, remonte à six mois. « Je suis dans une autre vie depuis que je l’aime. » Il s’articule entre la nécessité de corriger ce lourd paquet de copies sur le thème de la mémoire et l’appel du désir incessant, impérieux, mais mâtiné d’amour, d’échange, de si parfaite réciprocité que c’en est un bonheur. « Notre amour est un cœur au milieu de nos corps. » Thierry Radière élève un hymne à l’amour. « Il manque l’être aimé pour trouver de la richesse à sa propre existence. » Il sait donner de la chair à sa réflexion. « Sa chair a le parfum d’un papier d’Arménie brûlant sous mes caresses. » Il offre des élans poétiques de cet ordre : « Nos nudités deviennent soudain des phrases et elles s’écrivent entre les lignes des draps. » Non seulement, il affirme qu’on apprend à aimer en aimant, mais il sait donner à entrevoir ce qui nous emporte plus loin que nous-même : « Après l’amour, je me sens proche des frontières d’un autre monde, à la clairière d’un horizon qui vient de naître, au seuil d’une bâtisse tout juste reconstruite, à l’entrée enluminée d’un palace de rêve. » Il avance encore l’idée que l’amour conduirait à une desquamation et qu’il apporterait une réponse simple à des interrogations complexes sur la vie. Il offre enfin cet hommage à la femme aimée : « Ses paroles sont des robes de soirées aux décolletés profonds, habillant de manière sensuelle le silence de nos émotions. »

Le troisième axe, aussi passionnant et riche que le précédent, car l’amour et la littérature permettent de vivre plus intensément, concerne l’art de lire et d’écrire, le premier thème n’étant pas oublié : « La mémoire du poète est un sexe qui lime jusqu’à plus soif la béance de l’absence […] L’art a ceci de commun avec l’amour, il tambourine la musique sans voix des silences enluminés. […] Les plus beaux écrits sont ceux qui donnent envie d’aimer. » Pour ce qui est de la nécessité de lire, Thierry Radière note : « Lire c’est apprendre à vivre. Lire c’est approcher les zones obscures de l’humanité, les coins inexplorés du vécu ; ceux qu’on a du mal à imaginer dans le réel – au moment où on les découvre à travers les livres – car ils deviennent des révélations. L’indicible se transforme en vérité ; l’inconnu, en évidence que seuls les écrivains peuvent convertir. » Quant à la naissance de l’écriture, il consigne : « Songes et sensations sont le mortier des souvenirs en train de naître. » Il se range du côté de l’authenticité, de l’inattendu qui s’impose à l’écrivain, de la nécessité de savoir se relire et d’élaguer en conséquence. Il s’agit de vivre au-delà des mots.

Ce livre qui dit tout sur la venue, la transmission, et la passion de la littérature, est un enchantement. Il séduira les professeurs. Il pourrait éclairer les adolescents. Il ravira les amoureux et les écrivains de tous les pays. C’est dire si on peut s’en saisir, les yeux fermés. « L’attente est une roue tournant dans le vide. J’avance les yeux fermés. Le paysage est bandé par la dentelle de mon désir. »

Pierre Perrin, note inédite du 23 août 2016


Thierry Radière vit et travaille à Fontenay-le-Comte en Vendée. Poète, romancier, nouvelliste, présent dans de nombreuses revues, il a publié une dizaine de livres. Il tient un blog littéraire Sans botox ni silicone


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