Jean-Pierre Poccioni, La Maison du Faune
roman, Phébus, 2006, 188 p., 15.20 €
Rien n’est probablement ancien et tout est probablement démodé
Jean-Pierre Poccioni, La Maison du Faune, Phébus, 2006
Un homme d’un certain âge, racé, cultivé, divorcé depuis vingt ans, un fils et un petit enfant lointains, passionné de vin et de musique, s’inquiète de son aptitude au plaisir. Parti pour un voyage à Naples et ses délices, il rencontre un jeune couple dont la liberté – que tous trois observent sur les fresques des villas romaines – le fascine. Séduits par le désir si peu autorisé de ce passant tardif, les jeunes gens l’ont baptisé le Faune. L’intrigue est ténue, qui se met en place au tiers du livre, et l’entrée en matière, par une quarantaine de pages de journal, ne va pas sans dérouter le lecteur. « Peut-on prétendre saisir les autres par un dérisoire inventaire de leur univers ? » Mais la prose de Jean-Pierre Poccioni est, elle aussi, racée et vaut ce sacrifice, d’autant qu’une belle émotion comble le lecteur vers la fin. Par ailleurs, un rythme porte les phrases, qu’il élève souvent jusqu’à la poésie. À Naples, par exemple, il leur « ouvre la ville comme on ouvre sa porte ». Ou bien, cet homme, Alexandre, au prénom de papier, offre ce parfait alexandrin : « Il est si faux qu’il s’est masqué d’un nom d’emprunt ».
Aimant le vin, voici de la pure poésie : « J’ai récité Fixey et sa petite église, Chambolle et son Bon Dieu, ce Christ de pitié qui toujours me sembla tragiquement perdu. J’ai dit aussi qu’il était beau de marcher au long du Musigny en dominant les toits du château de Vougeot et puis de s’élever bien au-dessus des vignes par ces combes ombreuses qui mènent aux villages pierreux et solidaires des Hautes Côtes. » Ce bref roman, dont l’intrigue réside dans une possession qui devrait advenir sous forme de don, mais « rien n’est jamais certain que nos insuffisances », brille sourdement, est riche en conséquence de son ton, de ses subtilités de pensées et de composition, en alternant des pages de journal et d’autres de récit. « Connaître les autres c’est savoir ce qu’ils veulent, au moment précis où on les regarde. » Jean-Pierre Poccioni transcrit des notations d’une précision d’entomologiste. Ainsi, dans un des rares dialogues avec son fils à propos de ce couple dont il se rapproche, il consigne : « Il me regardait avec une indulgence atroce. […] Il m’a demandé ce que voulaient ces inconnus, avec dans le regard et le pli de la bouche une médiocrité qui m’a fait mal. »
Cette sommation de l’âge est admirablement suggérée : « Et puis tous ces regards perdus dans le silence, dans l’ombre aussi, que la vive lumière de l’extérieur n’atténuait qu’à peine, ont peu à peu troublé mon esprit fatigué. Était-ce de savoir que la vie arrêtée par l’éruption s’était comme mise en attente, des siècles durant ? Il me semblait que ces personnages se tenaient éveillés, que leur destin n’était pas achevé. Jamais je n’avais senti comme en cet instant à quel point l’histoire nous laisse seuls face à des sens posés sur le temps, comme des vides qu’il nous faut remplir. » Et du côté de l’amour : « J’ai connu certains soirs la saveur de la chose, cette impression que celle que l’on regarde, à qui l’on parle et que l’on veut charmer s’endort d’un sommeil d’ange sur des songes par nous choisis. Elle veut bien oublier que la nuit n’a qu’un temps, que les mots, les baisers sont des biens dérisoires, elle veut bien rêver un moment avec vous. Alors, une ivresse vous prend qui vaut tous les parfums et toutes les musiques […] J’ai cru quelques années à cette gymnastique et puis avec le temps j’ai su que rien n’est simple, pas même le plaisir, surtout pas le plaisir. J’aime le corps des femmes et les dentelles dont elles se parent. J’aime caresser, de la main, du regard, par la pensée perverse et sans limites. Mais le plaisir des femmes, leurs soupirs dans mes bras furent toujours des cadeaux qu’elles me firent. »
Telles sont quelques-unes des merveilles que procure la lecture de ce beau et sobre roman à trois personnages. Jean-Pierre Poccioni a publié trois autres romans dont La Femme du héros chez Pierre-Guillaume de Roux, en mars 2015
Pierre Perrin, note inédite du 8 mars 2017
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