Didier Pobel, Tous les chagrins porteurs de lance, nouvelles, Le Temps qu’il fait, 2019, 112 pages, 15 €

Didier Pobel, Tous les chagrins porteurs de lance
nouvelles, Le Temps qu’il fait, 2019, 112 pages, 15 €

Didier PobelTreizième ouvrage de Didier Pobel, Tous les chagrins porteurs de lance emprunte son titre à un vers d’Armen Lubin, pseudonyme de Chahnour Kerestedjian, né le 3 août 1903 à Üsküdar (district de Constantinople) et mort le 20 août 1974 à Saint-Raphaël, un écrivain et poète français d’origine arménienne. Ce vers offre un écho à celui qui le précède : « Tous les chagrins s’appellent absence » qui éclaire à ravir les dix-neuf histoires ici assemblées. Le vers qui donne son titre est sans doute repris de Le Passager clandestin – Sainte Patience – Les Hautes Terrasses et autres poèmes, préface de Jacques Réda, coll. Poésie/Gallimard, 2005. Une phrase, entre mille, confirme ce beau titre : « La solitude, comme l’amour, échappe à toute notion de temps. »
La caractéristique de Pobel tient en une approche simple sans être simpliste, au contraire, de l’existence, d’une claire syntaxe qui ne s’interdit pas l’image poétique, sans jamais faire savant. Le style est conforme à l’esprit du temps, léger en apparence, proche de celui de feu Éric Holder. Le fonds traque nonchalamment mais sans tarder les travers de la société et des membres qui la composent. L’art de la chute est parfaitement maîtrisé. Le suicide ne manque pas face aux tournants, notamment économiques, qui génèrent tant de tourments.
La nouvelle qui attache ma préférence, comme si je ne les goûtais pas toutes, mais il faut bien une torche pour s’éclairer soi-même, met à nu la connaissance – un beau leurre – de l’autre dans un couple. « Comment ai-je alors compris qu’elle savait que je savais ? » Didier Pobel soulève ou révèle sans peser « cette injection de sauvagerie dans le regard […] des passages de mésentente tacite […] ce tressaillement qu’on dirait emprunté tout autant à la bouche d’un bébé qui dort qu’à celle d’un vieillard qui s’en va. » Comment ne pas goûter le clin d’œil d’un ex-journaliste de presse écrite brocardant « le psittacisme de la radio », comme pour mieux sceller cette profonde observation : « Le silence finit toujours par s’effondrer en un ruissellements de menaçantes projections. Cela s’appelle alors parler » ?
Pourquoi cette nouvelle est si réussie à mes yeux ? Didier Pobel y soulève un voile sur notre ignorance réciproque. Nous qui, si souvent dressés sur nos ergots, prétendons tout savoir, agités de la crête, vivons en vérité dans « le friable du cœur » et du temps. Ce dédoublement de l’être aux parois incertaines me fascine et le nouvelliste parfait me le donne à lire avec brio, sans ronds de plume. Bien d’autres histoires me comblent. Outre le sujet, le style me ravit constamment. Ainsi, que perçoit un homme lors d’une première rencontre ? « Son anorack matelassé m’empêchait de distinguer ses formes. » Et pourtant à la page suivante, à peine assis, écrit Pobel : « Nos haleines fumaient à côté des tasses. »
Les dix-neuf sujets courent de l’intimité du couple à la solitude présente en soubassement de tous les âges, de la nostalgie au « désir dépecé sur un lit arraché à son initiale fonction conjugale ». Le tout forme un délice de lecture qui enchante encore, le livre refermé.

Pierre Perrin, note du 30 avril 2019


Journaliste et critique littéraire pendant une trentaine d’années au Dauphiné Libéré, prix Kowalski pour les poèmes de Liaisons intérieures et autres lignes, Cheyne, 1990, réédition 1997, Didier Pobel est présent dans Possibles n° 11 avec quatre extraits d’Un beau soir l’avenir, récit paru à La Passe du vent, 2014, pour ses évocations de Marcel Arland. On peut le suivre sur son blog ouvert à tout ce qui augmente le goût de vivre. Un extrait du présent recueil est donné sur le site de l’éditeur.

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