Claude-Alain Planchon, La Dame céleste et le diable délicat
correspondance intime, Jacques Flament éditions, 232 pages, 18 €
Il est un tout jeune docteur ; elle, une célébrité depuis des lustres. Quarante ans les séparent. On le regarde comme un intrus, un gigolo. Or leur amour éclate, se conforte, s’affine. La pudeur se confond parfois avec l’écarlate ; la lecture engendre un plaisir sans cesse renouvelé. Ce livre ne se quitte pas des yeux. Il est difficile de le refermer avant le point final. Il raconte un amour décalé, les salissures que les grands – ou tenus pour tels – du milieu de la danse infligent au jeune intrus, selon leurs canons. Dans le miroir de cet amour-phare, Claude-Alain Planchon suggère la densité d’une existence avec toutes ses marges, écarts, tête-à-queue parfois, sans cacher l’ampleur de la souffrance. « Je n’ai pas pu vous aimer sans vous maltraiter. »
Les lettres échangées sur une trentaine d’années ne se répètent pas ; elles rendent des échos, rarement affaiblis, le plus souvent embellis de la distance parcourue. Elles forment des bulles, chuchotent l’admiration, la confiance, la colère parfois, les sursauts de la jalousie, une ardente tendresse. Claude-Alain Planchon restitue, par le fil de sa narration, de ses explications pleines de tact, l’état du cœur et de l’esprit des deux aimants. Il situe des lieux de majesté, il révèle quelques mobiliers de partage réservé ; tous s’avèrent symboliques. Une pudeur de haute tenue soutient ce volume que j’ai dévoré comme le givre, un petit matin d’hiver, dévore les carreaux d’une chambre sans feu. « Nous ne sommes pas de ceux qui pleurent ; nous éprouvons les choses avec ardeur. »
- Les pages de lancement pour 100 notes de lecture sur Le Frais Regard
- Paloma Hidalgo – Canetti & Goldberg – Paul Valéry – J.-F. Migeot
- Jean-François Mathé – Richard Millet – Sabine Huynh – Alain Duault
- René de Ceccatty – Paul Gadenne – Claire Fourrier – Catherine Dutigny
- Claire Boitel [deux titres] – Domi Bergougnoux – Jean-Pierre Siméon [deux titres]
- S. Tesson – V. Megglé – C.-A. Planchon – C. Krähenbühl et D. Mützenberg –
- Jérôme Garcin – A. Nouvel – J.-M. Delacomptée – M. Compère-Demarcy –
- – Céline Debayle – Jean-Jacques Nuel – Mathilde Bonazzi – Éric Brogniet –
- – Patrick Grainville – Didier Pobel – Stéphanie Dupays – Ariane Bois –
- – Carole Zalberg – Éric Poindron – Jacques Réda – M. Compère-Demarcy –
- Pierre Jourde – Gwenaële Robert – W. B. Yeats – George Orwell –
- J.-F. Mathé – André Blanchard – Jean-Michel Delacomptée – Sophie Calle –
- A. Baldacchino – Jean-Pierre Siméon – Marie Murski – Emma. Delacomptée –
- Gwenaële Robert – Marc Villemain – Marc Dugain – Éric Brogniet –
- Jean-Michel Delacomptée – Éric Poindron – Michel Baglin – Patricia Suescum
- Jean-Marie Kerwich – Nimrod – Richard Millet – Jean-Pierre Poccioni
- Francesco Pittau – La Revue littéraire – Alain Nouvel – Jean Le Boel
- A.C. Rodriguez – Jean-Claude Pirotte – E. Delacomptée – Gérard Chaliand
- J.M. Delacomptée – Jean-Yves Masson – Jacques Réda – François Laur
- Thierry Radière – Natacha Appanah – Louisiane C. Dor – Jean-Pierre Georges
- Adeline Baldacchino – Franck Balandier – Adrien Goetz – Estelle Fenzy
- Guy Goffette – Adeline Baldacchino – Claire Fourier – J.-Claude Martin
- Frédéric Tison – J. Viallebesset – Dom. Sampiero – Pat. Delbourg
- Sophie Pujas – A. Baldacchino – Marlène Tissot – S. Rotil-Tiefenbach
- J.M. Maulpoix – Sophie Pujas – Philippe Delaveau – J.M. Delacomptée
Merci pour le monde entrouvert, celui « de ce milieu très fermé de la danse » qui ouvre l’infini, quand même seulement dix pour cent des créations seraient à garder. Le demi-frère Lario Ekson passe entre deux répétitions. Claude-Alain Planchon rappelle la vitalité de l’ambition pour gagner les sommets en art. Il donne aussi, sous le titre générique de « voix intérieure » des évocations poétiques. « Elle danse pour moi en relevant ses voiles, saute de marbre en marbre aux rythme du tambourin du pêcheur de perles de Duret, puis elle s’élève en une bacchanale effrénée, Pavlova rayonnante et légère, lâchant de ses mains les grappes de raisins dont les grains sucrés et juteux s’échappent comme des bulles jusqu’à la surface de mes lèvres pour étancher ma soif. »
La langue est à l’image du monde restitué, de grande qualité. « Tout le monde devrait avoir l’élégance d’un paraphe lisible […] La jeunesse est une ivresse continuelle. » Qui a su écrire avant lui cette très simple vérité que l’autre confère à l’aimé ? « Elle parvenait à faire bifurquer mes attitudes […] Elle est mon unité, ma raison d’être. » Claude-Alain Planchon a le verbe sûr et beau. « Tout me parle de vous dans mon jardin d’intempéries [et à la page suivante, entre cent exemples possibles] Elle enflammait l’étoupe des plus noires rumeurs. » Ajouterai-je que ce volume vit désormais au théâtre ? Bérangère d’Autun incarne la Dame céleste et Alexis Néret le Diable délicat. Il me tarde d’aller voir la pièce – entendre tout neuf mon plaisir de lecture.
Pierre Perrin, note du 19 novembre 2019

L’ouvrage sur le site de l’éditeur se trouve à cette adresse électronique. On y trouvera la présentation de l’auteur, un extrait et ses autres ouvrages dont Claude-Alain Planchon, Larrio Ekson, l’envol de l’aigle, éditions Jacques Flament, [beau-livre de format 240 x 320 cm], 146 pages, 40 €, que j’ai lu ainsi : Illustré de plus d’une centaine de photographies en noir et blanc, le texte de présentation de Claude-Alain Planchon, devenu demi-frère d’adoption du danseur étoile, acteur, pédagogue et chorégraphe, « Noureev de la danse contemporaine » selon Gilberte Cournand, Larrio Ekson, est d’une haute tenue. Larrio Ekson aura eu une destinée peu banale de Harlem à Paris, puis de Paris à Venise, et aura travaillé avec les plus grands chorégraphes, Carolyn Carlson, Maurice Béjart et Roland Petit pour ne citer qu’eux, à une époque bénie où se sont écrites les plus belles pages de la danse. Claude-Alain Planchon retrace ce parcours prestigieux. Il en dégage aussi les principaux ressorts. D’abord, les parents ne croient guère qu’un destin puisse être forgé par le beau gosse de Harlem. Larrio a du cran, de l’ambition. Il veut prouver ses capacités. La chance est de son côté, si l’on admet qu’il sait susciter le regard, bientôt l’admiration, et qu’il habite sa passion. « Modeler un geste, exécuter un pas, c’est moduler sa propre ligne de vie […] Le rêve est la nourriture céleste de l’âme. » Ensuite, il aide à comprendre la réussite. « Les grands danseurs n’étaient pas grands à cause de leur technique, mais grâce à leur passion. » Avec Carolyn Carlson, explique Larrio, « nous incarnions le Yin et le Yang d’un même corps, d’une même culture gestuelle et chorégraphique ». En regard de photos d’une grande beauté, il est agréable de lire sous la plume de Claude-Alain Planchon : « l’ombre se révèle parfois l’écrin de la beauté ». Dans l’entretien retranscrit, comment ne pas trouver très juste cette remarque de Larrio Ekson : « être reconnu a toujours été pour moi plus important qu’être connu » ? C’est dire la profondeur de l’étoile. Outre les titres et les dates des œuvres montées au fil des ans, 27 pages de notes sur 180 personnes parachèvent ce beau-livre. Le père Noël devra bien sangler sa hotte ! — Pierre Perrin, note du 6 novembre.