Francesco Pittau, Tête-Dure
roman, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, 98 pages, 12 €
Auteur « né de parents inconnus et qui le sont restés (sauf de leurs voisins, amis, etc) Francesco Pittau a commencé à écrire, un jour, et s’arrêtera probablement un autre jour. Il espère voir encore une trentaine de 29 février. » C’est ainsi qu’il se présente et cet humour, clair et noir à la fois, caractérise l’esprit de ce roman. Cet auteur roboratif publie nombre de livres pour la jeunesse. Chez lui, nul affadissement, au contraire. Cet extrait de la troisième page, qui plante le décor, l’atteste : « Tête-Dure soulève d’une main le bord frangé de la pesante nappe en tissu qui dissimule depuis une heure ses jeux sous la table. Il aime bien se planquer sous ce plafond de bois, se ramasser sur lui-même, les genoux talés par le balatum ; il a l’impression d’être dans une caverne. Il y fait sombre et paisible. Et puis, surtout, sous la table, tout devient possible, tout est vraisemblable puisqu’il le décide ; sous la table, il maîtrise le monde : l’herbe peut pousser, le bison paître, le cheval galoper sans se fatiguer, les morts se relever même après un coup de tomahawk. Le sang est vert ou bleu, rarement rouge. »
Ce roman narre un samedi de la vie de Tête-Dure, un enfant d’une dizaine d’années, sans doute un peu moins, à qui ses parents parlent peu et sans aménité. Ritals émigrés, ils transpirent la pauvreté, vivant dans un deux-pièces, le père purant la bière, et la mère la dépression, de se sentir très mal aimée. C’est la misère propre aux ouvriers du Nord de la France et de Belgique, à cette époque [1962]. C’est en conséquence une sorte de témoignage, romancé ou non, ce n’est pas la question. L’intérêt réside dans la force d’évocation des scènes et des personnages, dans le rendu de véracité qu’on ne peut un seul instant mettre en doute. On pense parfois à Poil de Carotte, malgré les différences d’époque et de milieu. Mais le style est de cette trempe-là. Pittau réussit à rendre ce que l’enfant perçoit, comprend, ressent. Il est extrêmement attentif à restituer les sons, souvent gutturaux des échanges entre adultes, les odeurs et la vue. Par exemple, pour la vue : « assis dans le canapé, Papa fumerolle comme un volcan ». Il rend aussi la montée des blessures. « Tête-Dure sent une bête inconnue remuer dans son ventre. Il prend sa respiration d’un petit coup de narines. Il faut qu’il devienne un bloc de pierre, des cheveux jusqu’à la pointe de l’ongle du gros orteil. » Ou bien : « Tête-Dure sent le nœud de sa gorge descendre lentement jusqu’à l’aine […] Tête-Dure a envie de pleurer. Sa gorge est comme un mince tuyau métallique. »
Tête-Dure « ne se plaint jamais, ou rarement. C’est ce qui lui a valu son surnom », tandis que pour Papa « le monde ressemble à un immense chenil où chacun essaie de monter une chacune, où chacune essaie de grimper un chacun, où toutes les combinaisons existent, où chacun a une âme de chien qui dort [croit-il quand ça l’arrange ou le rassure] ». Quant à maman, elle peut défendre son mâle avec « une voix pareille à un coup de couteau dans une pomme de terre crue », ou débarquer chez la voisine pour y récupérer son fils avec « des mots qui crépitent entre ses dents comme des grains de raisin surs. Elle est verte ». À aucun moment, Francesco Pittau n’exagère. On le suit à la lettre, aucun mot n’est de trop. Sa langue est généreuse en inventions de toute sorte. Le soir venu, « Tête-Dure a la bouche pleine de sommeil » et il découvrira, au petit matin, à l’avant-dernière page, que Papa est encore couché sur le canapé où il a vomi. — C’est un roman de qualité que Tête-Dure. Non seulement il ne peut laisser personne indifférent, mais l’écriture de Francesco Pittau offre un régal.
Pierre Perrin, note du 23 février 2017 parue dans la Diérèse n° 70 [mai 2017]
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