Jean-Jacques Nuel, Une saison avec Dieu, récit, Le Pont du change, 2019, 140 pages, 14 €

Jean-Jacques Nuel, Une saison avec Dieu
récit, Le Pont du change, 2019, 140 pages, 14 €

Nuel

En mai 2016, Jean-Jacques Nuel a publié dans Entrevues, un site des revues culturelles, « Que gagne-t-on à publier des textes dans des revues ? » Son article avait retenu mon attention. Sa conclusion iconoclaste rejoignait par certains côtés mon avis trop affûté des années quatre-vingt : une revue permet surtout de savoir quels livres on se dispensera d’acquérir, quels auteurs on ignorera définitivement. Cette parenté de pensée me conduit à rendre compte d’Une saison avec Dieu. « J’ai exercé de nombreux métiers sans le moindre intérêt. […] Mes manuscrits n’ont pas trouvé d’éditeurs. » Tel est le sombre tableau que dresse de son existence l’auteur de ce récit, Une saison avec Dieu. La consultation de son site en ligne dément une telle déploration. Il a beaucoup publié, des romans, des nouvelles, des poèmes. Mais s’il reste moins connu que d’autres, c’est sans doute un effet de sa réserve. L’habileté à se dévoiler tient une grande place dans notre monde du paraître.
Le meilleur du présent récit tient dans une ambiguïté que suggère le titre. De quel Dieu parle-t-on dans ces pages ? Un étudiant plus âgé que l’auteur, inscrit aussi à l’université, devient un co-locataire exemplaire. Il assiste rarement aux cours, mais sa culture est déjà solide et surtout il sait vivre. Il incarne la discrétion, tout en s’avérant un modèle d’attention et d’écoute. Cependant, l’auteur joue de l’ambiguïté et le lecteur, tout en ayant circonscrit la farce, reste aux aguets. Jean-Jacques Nuel prête par exemple à Dieu cette parole : « Je me sens partout chez moi ». La « sensation fugace d’un fantôme » permet à l’auteur de se confesser ou peu s’en faut. Il avoue quelques méfaits : des vols, des ivresses, des colères ; quelques vérités aussi. « Certains hommes, bouffis d’orgueil et de suffisance, se croient des dieux vivants ! » Le progrès spirituel est nul. « L’homme erre dans les ténèbres, sans savoir où il va. Les plantes sont moins sottes, qui se tournent vers la lumière. Nous sommes des êtres dérisoires, provisoires, et le seul infini que nous puissions connaître est celui de l’amour. »


On peut regretter quelques clichés, peu nombreux, du type « on n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace et Dieu n’était pas né de la dernière pluie […] de l’eau a coulé sous les ponts ». Le cliché ne gêne pas grand monde, mais il reste à mes yeux une négligence coupable. On pourrait regretter la minceur des hauts faits rapportés. Le récit est encore un peu nonchalant peut-être. Mais on peut a contrario se réjouir de belles formules. Les œuvres pour orgue de Bach forment une cathédrale de notes. « La saveur inestimable du navet » ne se départit guère d’une sorte de « cinquième évangile ». L’humour de Jean-Jacques Nuel est prégnant, agréable. Il se fait parfois grinçant. Il ne faut rien attendre des enfants, suggère l’auteur. Cet humour sait aussi se confondre avec la gravité. « La lucidité est le triste privilège de la vieillesse. » Est-ce assuré ? En tout cas, je goûte une telle approche : « après avoir épuisé le recto de ma vie, il est temps pour moi de penser à son verso ».

Pierre Perrin, note du 7 juin 2019

Le site du Pont du change est à cette adresse


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