Richard Millet, Désenchantement de la littérature
Éditions Gallimard, 2007, 72 pages
Dans ce bref volume, Richard Millet indique d’emblée qu’il réfléchit à « la condition de l’écrivain dans ce nouveau millénaire », comme il avait commencé à le faire avec Le dernier écrivain, chez Fata Morgana, 2005. Il a depuis enrichi sa réflexion jusqu’à une extrémité avec Langue fantôme, en 2012 et, sans perdre de hauteur, dans Solitude du témoin, en 2015. Il fait plus que livrer un constat. Il rend vives, vivantes, les clés qui le retranchent du consensus qu’exige la majorité de la société. Ce qui domine en effet, écrit-il, c’est l’indiscutable affirmation que tout se vaudrait, précisant : « le minuscule le grand, le bas le haut, le déviant la norme, le mélange la pureté, l’exception la loi […] pas la simple décadence, mais la dévalorisation comme principe […] un étroit souci de soi qui s’appuie sur un ensemble d’oukases, vieilles lunes de la tolérance, et dont la nouveauté ne réside que dans leur charge coercitive : le métissage, l’homosexualité, l’antiracisme, le show-business politique, les lobbies minoritaires, les faussaires en tout genre, les travestis de l’information, les transsexuels de la parole publique, tout ce qui résulte d’une inversion générale des valeurs », tout cela produisant « une civilisation rongée par le mensonge ».
À ce constat politique, où il ne craint pas de dénoncer une remise en cause de l’identité de la France ainsi que la guerre que se “jouent” l’islamisme purificateur et le libéralisme économique, il ajoute la médiocrité que charrie la télévision, l’abaissement de la pensée qu’elle justifie pour chaque individu, la faillite de l’éducation nationale qui ne transmet plus un savoir satisfaisant, tout particulièrement en matière de maîtrise de la langue, et il estime légitime de se demander « si, en abolissant toute idée de grandeur, de hiérarchie, de jugement, de critique, de goût, la démocratie ne tue pas la littérature ». Cet avachissement de la langue « par fadeur stylistique et flottement syntaxique, sémantique, orthographique », que tout le monde peut observer et entendre, s’il en a les capacités, dû aussi à la soumission du vocabulaire anglais, que très peu de gens comprennent, fait que la littérature s’amoindrit parce que, soit par manque de culture, soit par observance de la doxa du tout se vaut, il ne reste presque plus d’écrivain digne de ce nom, faute de nommer le monde.
« La conscience de l’égalité suppose un radical refus de la différence, laquelle est cependant fondatrice de l’égalité des conditions et du respect d’autrui. » Dans les faits, « le rock et le rap, la bande dessinée, le roman policier, la science-fiction, le cinéma populaire […] sont en train d’accéder au rang de culture dominante. » S’il fait simplement remarquer combien Guy Debord « a écrit dans la langue du cardinal de Retz plutôt que dans celle de Sartre ou d’Althusser », il en conclut que « la littérature est entrée en agonie ». Son septième et dernier chapitre, sa péroraison, disait-on autrefois, atteint des sommets. « Nous sommes des héritiers sans descendance […] je continuerai à vous regarder, à l’écoute de ce royaume des morts qu’est toute langue littéraire. Je vis dans le deuil, et dans l’éclat du jour. Je cherche à muer la noirceur en lumière. »
Malgré les citations dont j’ai presque abusé, cet article ne dit presque rien de la grandeur de la langue que Millet met en œuvre. Elle est précise, elle porte un souffle. Son rythme est sans égal. Elle apporte, comme une orange, les vitamines de l’amertume. Elle détoure le noir pour mieux faire naître la lumière.
Pierre Perrin, note du 9 mars 2017
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