Louisiane C. Dor, Les Méduses ont-elles sommeil ?
Gallimard [Col. Nos vies], 2016, 88 pages, 10 €
Ce récit de « huit mois de vie branlante, qui ont paru des siècles » à l’auteur de ce désastre, se lit en une heure. Impossible d’en perdre un mot. Le lecteur est soulevé, conquis et révulsé à la fois par le résultat dont il redoute les effets. Hélène est le prénom de l’héroïne, qui préfère la cocaïne. À dix-huit ans, elle monte à Paris, « le rêve de tous ceux qui n’y habitent pas », pour la grandeur, être adorée, adulée, convoitée. Elle devient, entre les mains plus que les bras d’une Laurine de trente-deux ans, qui l’entraîne dans « une bassine à lesbiennes » une méduse à « prendre des bains de poudre nocturnes ». L’intérêt du récit est de donner à vivre de l’intérieur, presque de la caboche de l’héroïne, dont les neurones sont parfois déconnectés, tant la transe est intense, cette descente aux enfers, avec un naturel absolu. Qui ne connaît rien à ce phénomène, le livre refermé, semble pouvoir dire : voilà ce que j’ai pu traverser. Autrement dit, le partage est total, la réussite incontestable.
Il n’y a, dans ces nuits de perdition, « pas grande différence entre la salle de danse et la salle de décomposition pulmonaire ». On perd le goût. On se brouille l’oreille ? Un misogyne revient à demander qui s’est mise au jean. On s’illusionne en tout, pour la durée, même la distinction entre le jour et la nuit. L’amour entre en elle, Hélène qui en oublie jusqu’à son prénom, comme on fait un tonneau de bagnole. Elle devient quelqu’un en n’étant plus personne. « Je suis grise d’artifices et mon teint l’est aussi. Mes yeux se sont éteints. Je ne sais pas qui je suis. » D’un côté, tout est décuplé, centuplé. « Je crois tant à la vie que je pourrais presque marcher sur l’eau. » Et de l’autre, le premier qu’elle croit l’aimer lui sourit bientôt comme un affreux salaud, entre en elle sans ménagement aucun. Sa mamie lui disait bien que « les garçons n’ont ni queue ni tête ; c’est à moitié vrai ; ces imbéciles n’ont vraiment pas de tête ». D’autres, plus âgés, la prennent en photos, « sous les flashs de la répugnance » pour deux cents flèches.
Les changements d’états sont parfaitement décrits, parfois donnés à ressentir. « Je m’effondre. Je vomis. Je saigne. Je vois noir et je broie du noir. Je vais mourir. Je le sais. Je le sens. Je vais mourir. » Et l’analyse est à proximité – la préface ayant prévenu d’un passage par le divan préalablement à cette rédaction – stigmatisant ainsi le mal : « Je crois vivre d’émotions, la vérité est que je n’en ai plus aucune ». Pourtant, certaines nuits, « des centaines de piles alcalines sautillent sur le bateau » et « c’est ce que mille gonzesses identiques appellent l’originalité ». L’auteur épingle l’accoutrement à la diable, la fausseté de tous ces contacts, le côté robot des drogués. Le symbole est celui d’une « nage dans une piscine sans eau […] un silence égratigné ». La fin est dramatique, comme il se doit. C’est donc un récit sensible, drastiquement nerveux, porté par une écriture d’une totale efficacité, une sorte de grand style fondu dans l’anonymat qu’exige une telle narration. Une réussite totale.
Pierre Perrin, note du 17 juin parue sur La Cause littéraire, le 4 juillet 2016 [supprimée depuis]
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- Claire Boitel [deux titres] – Domi Bergougnoux – Jean-Pierre Siméon [deux titres]
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- Jérôme Garcin – A. Nouvel – J.-M. Delacomptée – M. Compère-Demarcy –
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- A.C. Rodriguez – Jean-Claude Pirotte – E. Delacomptée – Gérard Chaliand
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La page des remerciements incite à penser que l’auteur s’abriterait derrière un pseudonyme, Louisiane C. Dor, tandis qu’un article de Paris-Match en date du 28 mai 2015 rapporte au contraire ces propos attribués à l’auteur, une jeune provinciale de 22 ans : « je vis actuellement pieds nus au Brésil et je n'ai même pas le téléphone. Je suis dans l’écriture de mon deuxième roman. Sur un tout autre sujet que celui-ci. »