Jean-François Mathé, Ainsi va, Rougerie, 80 pages, 13 €

Jean-François Mathé, Ainsi va
Rougerie, 80 pages, 13 €

Ce douzième titre chez Rougerie, Charente, leste l’œuvre de Jean-François Mathé qui compte encore cinq autres titres chez divers éditeurs. Lester relève d’une façon de parler, car cette œuvre ne manque pas de lest et le titre de la troisième partie aurait convenu au recueil entier, n’était le premier terme : « Miettes de mystères et d’évidences ».
Quelque sujet qu’aborde le poète – l’enfance, l’amour, la mort –, il met en balance, toujours à travers un voilage à peine perceptible ou une voile qui faseyerait à l’horizon, l’éblouissement premier et la cible que reste chacun à tout instant de son existence. « Il a fermé sa porte à clé sur les départs puis la rouvre sur les absences. Le seuil, on y est seul. » On le voit, la subtilité sert la profondeur de la pensée. Qu’est-ce que vivre ? « Suicide lent, le temps qu’au bout de la corde vienne le nœud coulant. » Il ajoute dans un des poèmes en prose, majoritaires dans ce recueil et qui avoisinent la dizaine de lignes chacun : « J’ai changé d’amours jamais de colère. » Le sable des sabliers se perd dans les trous de mémoire ; les femmes chantent « d’anciennes chansons plus jeunes que leur voix ».


Jean-François Mathé a cet art de cerner en peu de mots des sensations-réflexions qui justifient le blanc autour du poème. « Un adieu / Tu as repris tes doigts dès la fin de la poignée de main pour les replier sur la chaleur qui restait dans la paume. / Et cela te suffisait bien, un peu de chaleur d’où qu’elle vienne quand l’hiver vient et quand l’autre empoche sa main qui ne serrera plus jamais la tienne. »
La discrétion est donc son cachet ; elle est disséminée, jusque dans la ponctuation. Le rêve la traverse, si j’ose. Ainsi, le poème de Jean-François Mathé peut-il rendre naturel le fait qu’un vivant croise un mort à l’entrée d’un cimetière. Le mort « s’en va vers des regards qu’il saura traverser sans être vu », tandis que le visiteur reste « à l’étroit dans [s]a tombe verticale de vivant ».
Le chant ou le murmure de l’amour lui rappelle Jaufre Rudel. Cette délicate attention atteste l’empan de la mémoire du poète, de même que chez lui l’enfance reste vive. Qu’un enfant lève le doigt, que le maître l’ignore, et « dans la main comme dans une flamme sans sa bougie, se consume la réponse ». N’est-ce pas là le symbole de notre misère ?
La grandeur de Jean-François Mathé réside dans l’art de proposer ces mystères évidents. Il les éclaire lentement de l’intérieur. L’avant-dernier poème ne le confirme-t-il pas ? « On ne saurait le dessiner : nul trait ne pouvant assez vite / cerner celui qui tout évite / et ne veut qu’être deviné. » Dois-je préciser que j’admire ce grand art ?

Pierre Perrin, note du 18 septembre 2022, parue dans Possibles n° 26, déc. 22


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