Jean-Claude Martin, Que n’ai-je, éd. Tarabuste, 2016, 104 pages, 13 €

Jean-Claude Martin, Que n’ai-je
éd. Tarabuste, 2016, 104 pages, 13 €

couv. Martin« On croit souvent que la poésie n’est qu’une petite ritournelle rimant plus ou moins, ou quelque chose de très linguistique et de très ennuyeux, sur laquelle des messieurs très linguistiques et très ennuyeux colloquent. Je ne pratique ni l’une, ni l’autre. J’essaye de faire tenir en quelques lignes – dans des poèmes dits “en prose” qui ne dépassent jamais une page – des rencontres, des moments, des éclats, des éclatements, des éclairs, des éclaircies, des impressions, des petites choses vues, des grandes choses entr’aperçues : du ciel, de l’eau, des avions, des êtres humains, du temps qui passe, des émotions, des histoires […] C’est un peu un journal, sans être un journal. Ce sont, recréés, des moments de ma vie. J’espère qu’ils peuvent aussi toucher des moments de la vôtre. » C’est sur le site de la Maison des écrivains qu’on trouve cette approche écrite en 1999 mais valide encore et toujours, précise le poète.

Le titre de ce recueil est emprunté à Guillaume Apollinaire qui le fait rimer avec neige, dans Alcools, paru voilà un siècle, déjà. Et c’est bien en une centaine de proses brèves, à raison d’en moyenne une dizaine de lignes par page, que Jean-Claude Martin propose un petit tour dans la réalité, sans illusions. « Et, en soulevant les lignes des poèmes, comme les lames des persiennes, n’apparaîtra qu’un ciel tout blanc, froid comme un mur. » Cependant, dès le premier poème, la magie se met en place. En effet : « Le jour filtre à travers les volets. C’est miracle que si peu de clarté fasse tant de lumière. »

Le poète sans prétention cherche à tenir entre le désir, qu’il ne brusque pas, voire n’effleure qu’à peine, le regret et « la voluptueuse mélancolie des souvenirs enfuis ». Il s’agit donc, à partir d’une écriture d’instants de la vie captés avec humour et distance, de créer une attitude devant la vie. Ce que révèle Jean-Claude Martin, ce sont nos insuffisances, les manques d’attention à l’être, aux êtres que nous côtoyons, aux événements aussi, à notre lâcheté. Ainsi la page est à l’image de ce qu’elle donne à voir : contenue, retenue, un peu grise, non sans éclairs, presque froids comme il convient, et cependant claire, nette, attachante et distante à la fois. Rien de fabriqué dans ces pages où l’on devine un cousinage ici et là avec le Godeau des Mots difficiles, Gallimard, 1962, des Foules prodigieuses et autres titres, à cette différence près que, si Godeau crée d’étonnants et crédibles personnages, Jean-Claude Martin préfère planter son petit chevalet à poème contre le ciel. C’est l’amour à la peau si tendre mais aussi bien l’absence dans le même élan, la mort, qui le retiennent.

« La vie est un village loin, très loin : la promenade seule importe… » La désillusion qui se dégage de ces pages, venues d’un carnet sans date, est sans cesse aiguillonnée par un humour persistant qui suscite finalement cette sérénité que chacun cherche. Jean-Claude Martin la trouve pour nous. Qu’on en juge par cette évocation aussi ancienne qu’éternelle : « Mère, longtemps que je n’étais venu ! Rien n’a changé ou presque : une peinture neuve sur la grille, des fleurs durables dans les vases ; mais le sable de l’allée s’insinue toujours dans les chaussures (gravité de circonstance), les nuages dans le ciel passent sans s’arrêter (vent marin)… Mère, comment vas-tu ? Bien sûr, tu ne répondras pas, n’as pas même entendu ma question. Pourtant, je te rejoins : j’ai fait tant de progrès dans l’amertume ces derniers temps que je me sens ranci comme un fruit blet. Aurais-tu su m’aider?… Tu t’es enfuie si vite, mère. Tout ce temps sans te parler !... Ce soir, les phares de l’automobile feront un trou dans les ténèbres, mais la nuit derrière nous se fermera comme du sable. »

Pierre Perrin, note du 17 mai, parue dans La Cause littéraire le 2 juin 2016 [supprimée depuis]

La revue Possibles n° 9 —>

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