Jean-Yves Masson, La Fée aux larmes, La Coopérative, 2016, 96 pages, 14 €

Jean-Yves Masson, La Fée aux larmes
éditions La Coopérative, 2016, 96 pages, 14 €

Jean-Yves MassonToute lecture d’un volume de Jean-Yves Masson, qui toujours s’établit dans ce que la littérature offre de plus élaboré, suscite le régal. Avec ses quatre tomes de romans et nouvelles, chez Verdier, ses quatre recueils de poèmes nourris, sans oublier quatre volumes encore d’essais et d’aphorismes, l’œuvre entière instille le temps long, la longue mémoire et, par surcroît, livre du rêve tout intime en même temps qu’universel. Dans Le Chemin de ronde, chez Voix d’encre, voilà treize ans, réfléchissant « au rire inextinguible des dieux », il concluait, mais provisoirement, comme si affleurait déjà la matière du présent conte : « les larmes seraient donc le vrai privilège de l’humain ». Plus largement, ces quatre vers des Poèmes du festin céleste chez l’Escampette, en 2002, n’attestent-ils pas la dimension que prend cette œuvre ?

« Puisque je fus, je demeure éternelle.
Regardez mon portrait de mensonge et de fable :
ma statue est solaire, mais le sable la garde
enfouie profondément dans un tombeau sans murs. »

La Fée aux larmes, qui paraît à La Coopérative, est un conte. Il s’adresse à tous, enfants et adultes, avec la puissance d’une, parmi les meilleures, fables de La Fontaine. L’écriture conjugue une simplicité et une réflexion sur la nature humaine telles que l’émotion affleure au gré de nombreuses péripéties. Si la matière du conte est offerte dès son titre, limpide, elle reste mystérieuse. Elle attire, elle ensorcelle et ne délivre au demeurant la profondeur de son secret que dans les toutes dernières pages. De quoi, de qui s’agit-il ? De pauvres parents avaient perdu un fils unique, à ses treize ans. Pourtant « leur amour avait survécu vaillamment comme une pauvre plante, toute étonnée de subsister après qu’un orage a abattu les arbres bien plus hauts des alentours ». C’est sur ces entrefaites qu’Aurore vient au monde avec une promesse de beauté inaltérable et même, contre toute évidence eu égard à sa basse extraction, une seconde promesse qui l’assure de rencontrer la richesse. Son père croyant la protéger dès son berceau, le don des larmes en revanche lui sera refusé.

Ce conte met en scène les tours et les détours que suscite la conquête de la si belle Aurore. Comment les jeunes gens se haussent sur leurs ergots, se battent pour sa main, comment le plus puissant sait asservir à une tromperie de bon aloi l’expression de sa sincérité. On découvre aussi les méandres de l’amour, comment chez les meilleurs le doute s’instille, installe une fragmentation et multiplie les dégâts. Le souci naît ici de ce manque d’humanité que les larmes seules pourraient racheter. Il restera donc à Aurore de pallier cette carence, en apparence insurmontable. Comment ? Toute la fin du conte est rythmée par cette quête, à la fois pauvre, miraculeuse, et qui libère une intense émotion. « Le plus long chemin est celui du cœur. » La dernière page, enfin, établit une filiation, Jean-Yves Masson rendant à sa mère dans le temps qu’elle le portait dans son ventre, précise-t-il, le fil magique de cette histoire.

L’originalité de ce conte neuf est qu’il déroge aux multiples noirceurs bien visibles chez Perrault. Le Petit Chaperon rouge permettrait presque une banalisation du viol des enfants poursuivis « jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles », au fond des alcôves autrefois. La plupart des contes rapportent entre les lignes tant de travers ; leur étude montre assez qu’ils sont peu recommandables. Celui-ci, sous la tendre férule de Jean-Yves Masson, c’est tout le contraire. Il offre une façon de considérer le monde en regardant avant tout la part de lumière que présente tout individu et comment, à force de patiente volonté, chacun pourrait se sauver à l’image d’Aurore. À l’instar de la jaquette noire et rouge, reproduisant une illustration de Jean-Jacques Grandville, un soin tout particulier a été apporté aux sept autres reproductions de gravures ponctuant le conte ainsi qu’aux lettrines ouvrant chaque chapitre. Voilà donc une magnifique réussite offerte à tous les âges de la vie.

Pierre Perrin, note du 6 octobre parue dans La Cause littéraire le 22 novembre 2016 [supprimée depuis] et dans la revue Diérèse n° 69 en janvier 2017



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