Jean-Marie Kerwich, Le Livre errant, Mercure de France, 2017, 96 pages, 10 €

Jean-Marie Kerwich, Le Livre errant
Mercure de France, 2017, 96 pages, 10 €

À quoi bon écrire pour devenir, dans le meilleur des cas, le nom d’une rue menant elle-même à la mort ?
Jean-Marie Kerwich, Le Livre errant

Jean-Marie Kerwich

Jean-Marie Kerwich est né à Paris en 1952 dans une famille de gitans piémontais. Yehudi Menuhin a fait l’éloge de ses premiers poèmes et Jean Grosjean a comparé son recueil L’ange qui boite aux prières de François d’Assise. De L’Évangile du gitan, son précédent livre, Christian Bobin a écrit : « Un va-nu-pieds nous redonne les clés du ciel que l’on pouvait croire à jamais perdues ». Dans ce quatrième volume, cet auteur offre 81 poèmes en prose, de dix à quinze lignes chacun, d’une absolue simplicité. Ils disent l’être, en précisant : « il n’y a que des fragments d’instants qui nous semblent être la vie », avec « la vulgarité du bonheur, […] qu’il est bon de ne plus avoir peur de mourir ». Par le truchement de ce livre errant, toute une vie passe un peu comme « les pays sont devenus si proches qu’il est plus difficile d’enjamber une flaque d’eau que de voyager jusqu’aux Indes ».

En consignant « le vent, la pluie, la neige, la boue me connaissent. Seuls les hommes m’ignorent », Jean-Marie Kerwich soutient aussi qu’il n’est pas poète, que c’est une erreur, « c’est mon âme qui tient par un fil à la boutonnière de mon vieux manteau. Ma sensibilité est une douceur qui me fait mal, mais il y a de la joie dans le malheur de souffrir ». Cependant, c’est pour mieux brocarder notre monde qu’il sait rendre terriblement présent. Il sait dire l’amour, saluer la femme en plénitude. Gitan, il peut soutenir également que la décadence est là, « sachant que les Occidentaux ne savent plus lire, seules les intéressent les phrases qui portent des porte-jarretelles ». Il cerne aussi le phénomène : « La France respire un vent américain », précisant : « bientôt un pont géant reliera l’Amérique à l’Europe et je ne veux pas voir ça ». C’est dit, dussent en frémir de rage les béats qui roulent leurs platitudes.

Il est attentif aux riches, pour leur signifier qu’ils devraient bien inventer les pauvres, jusqu’aux SDF « démunis de tout, étendus sur un carton ». Il fait revivre des moments d’enfant, battu peut-être, du père étincelant, de la mère contrainte et fière à la fois, de grandes scènes de désir avec la terre qui est plus qu’un caillou, car elle est revêtue de chair humaine, écrit-il encore. L’authenticité est son ferment. Le lire est donc un plaisir. Il sait tout dire, à discrétion, en une partition lyrique ténue et retenue et tout autant son contraire : « Que l’encre de ma plume me crache au visage si je n’écris pas la vérité. » — Découvrir les premières pages du Livre errant.

Pierre Perrin, note inédite du 24 avril 2017



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