Guy Goffette, Petits riens pour jours absolus
poèmes, éd. Gallimard, 2016, 120 pages, 14 €
Sans compter trois titres pour la jeunesse, ni une vingtaine de livres d’artiste, avec ce vingt-cinquième volume chez Gallimard, Petits riens pour jours absolus, Guy Goffette place son beau fagot de poèmes sous le signe de Verlaine et de Robert Walser. Ce dernier, placé en exergue – les derniers seront les premiers –, invite à « nous contenter de nous aussi longtemps que ça va ». Quant à Verlaine, à qui Goffette a déjà consacré deux volumes [en Folio], c’est la simplicité même du génie. La grande poésie sait d’un rien tisser un miracle. Elle est à son aise ici. Si le poème de Guy Goffette en général tient dans une page, il peut aussi prendre de quatre vers à six feuillets. Il peut tenir dans les doigts d’une main. Il peut aussi, en une longue phrase, accumulant des distiques en versets, raconter toute “une histoire” qui se dépose longtemps dans la mémoire. Le poète enfin ne renonce à rien de ce qu’il aime à raison, ni la ballade, ni même la « chanson de la vie qui passe » et il multiplie ses dilectures, sa façon toute personnelle de rendre la vie à des prédécesseurs, Borges, Max Jacob, Jean Follain, Paul de Roux, Jean-Claude Pirotte, où il excelle.
Le titre dit assez le mouvement et, par-là même, définit celui de la poésie tout entière. Les titres sont d’une simplicité sans pareille. Ici on parle de la vie. L’abstraction ni la vantardise n’ont cours, encore moins la grandiloquence et le galimatias. Voici quelques-uns de ses titres : « Couvée pascale, Devant la mer, Rimbe encore, Mater dolorosa, Lettre à mon père, Fin de campagne »… Ce que Guy Goffette écrit de Max Jacob ne vaut-il pas pour lui : « Il n’a pas son pareil pour mettre sa vie et sa mort en images […] la déchirure de sa vie est dedans cachée sous un double fond », surtout lorsqu’il conclut : « Il faut mourir à soi pour entrer vivant dans la poésie ». En renouvelant notre vision de la brièveté de la vie : « C’est à peine si l’on voit filer / la mèche déjà la flamme est morte », il ne tait rien des merveilles de l’enfance, sauf à préciser que « là où l’enfant peut entrer de plain-pied / un mur se dresse que le temps a bâti ». Quant au mouvement, son vers chante, tantôt flûte de cristal, tantôt chope à ras bord. Jamais Guy Goffette ne se laisserait aller à cette sorte de prose découpée à la hache, hachée si menu qu’on dirait une poignée de clous jetés sur la page, et qui rouillent aux devantures des libraires !
Il peut frôler, à un vers près, le haïku, mais pour cela : « Mon amour / assigne-moi à résidence / dans la fraîcheur du linge / que tu portes ». D’autres fois, entre les larmes et les alarmes, il peut nous inviter à croiser la cycliste « aux seins étonnés », voire les « jupons métallifères » de la tour Eiffel, pour mieux « réveiller cette lumière à voix basse sur ton visage », sans oublier « ce sourire qui délivre du poids du jour et de la mort un instant ». En bref, c’est le monde qui est revisité, et ce monde, essentiellement intérieur, ne cède rien à l’autre qui multiplie « les dieux du profit que rien n’arrête », pas même les charniers. Tout cela, façon Goffette qui n’a pas son pareil pour distiller les plus limpides paradoxes de l’enchantement : « quand partir n’était encore / qu’une autre façon de rester // comme l’eau dans la rivière, les mots dans le poème / et moi, toujours en partance // entre l’encre et les étoiles, à rebrousser sans fin / le chemin de tes larmes ». Voilà donc un beau recueil, tel un manège de poésie qui entrouvre un grand nombre de portes vers le mystère de la clarté : « Ne te retourne pas / l’air est chargé du sel de nos vaines douleurs, va / dans le vent qui passe et laisse mourir les morts ».
Ce beau recueil des Petits riens pour jours absolus nous confirme que Guy Goffette est un grand poète et que le lire garantit un bonheur presque aussi grand que le ciel.
Pierre Perrin, note inédite du 1er juin, parue sur La Cause littéraire le 21 juin 2016 [supprimée depuis]
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Une note de lecture de Partance et autres lieux, Gallimard, 2000