Pierre Perrin lit Adrien Goetz, Les Oiseaux de Christophe Colomb, 96 pages, 11,50 €

Adrien Goetz, Les Oiseaux de Christophe Colomb
conte, éd. Gallimard, 2016, 96 pages, 11,50 €

couv. GoetzRêveuse, seule et un peu perdue dans un jardin au bord de la Seine, parce qu’elle vient des Asturies, Alina, qui à treize ans offre « un mélange d’Alice au pays des merveilles et de Zazie dans le métro », s’intéresse à Christophe Colomb. Comme lui, elle découvre, pour son premier trimestre d’élève de troisième, ce Paris de chez sa tante. Heureusement, à deux pas, entre les arbres et les immeubles, à l’ombre de la tour Eiffel, tel « un navire voguant dans les buissons », se trouve le musée du Quai Branly. Dans ses flancs, les peuples du monde dialoguent. Ce qui ne devait être qu’une visite, pour préparer un exposé, devient un voyage initiatique. Mais sur ce schéma que livre peu ou prou la quatrième de couverture, je tairai ici le coup de théâtre qui clôt ce beau conte. Le lecteur au demeurant ne fait pas que découvrir un secret. Il traverse un monde, toute la saveur de l’ouvrage.

La tante d’Alina est architecte. À ce titre, elle « démolit avec rage […] Faire une jolie maquette pour berner le client, tu sais, c’est un métier ». Sur ce même registre, Alina s’entend dire que Colomb est « un menteur […] qui avait ramené des “indigènes” avec lui comme s’ils étaient des perroquets ». Elle va découvrir l’importance de la chambre de photographie, le « pavillon des Sessions que les conservateurs, qui n’en voulaient pas, avaient rebaptisé le “pavillons des concessions” » avec son atmosphère de centrale nucléaire, alors que le musée offre la paix d’une grande maison. La saveur est partout. « La plupart des pièces ne sont “premières” que parce que le sentimentalisme bête des Européens les voit comme ça. » Quant au CNRS, c’est le Centre national repos et santé ! Ce bon mot valait bien ce détour, puisqu’il n’est pas certain que, si « tout se trouve sur Internet », on le déniche, lui. En tout cas, le lecteur, comme l’héroïne, oublie d’où il vient, s’inscrit dans le conte pour ne plus le quitter.

Parmi quelques morceaux de choix, on goûtera sans doute cette définition semblable au tonnerre qui précède la foudre : « L’ethnologie, c’est tester les traditions locales, observer leurs mutations, mesurer la part d’héritage et d’innovation, avec un zeste de fantaisie. » Et Adrien Goetz, s’il se borne à l’éclair, plante du moins sa banderille sur cette génération d’imposteurs qui, de deux mois sur le terrain, auront rasé durant trente ans des amphithéâtres entiers « avec des airs de prestidigitateurs faisant sortir un lapin d’un chapeau ». Mille fois plus noble, Las Casas, qui sans doute a recopié pour partie le livre de bord de Colomb, passe entre les lignes, la Corse aussi. C’est bien là que ça se corse, justement. Mais toute la fin du conte est si belle que c’est à chacun de l’embrasser, de la faire sienne. Elle en vaut la peine. Elle conduit à refaire rien moins que toute l’histoire du monde à l’envers. Un vrai plaisir.

Pierre Perrin, note du 3 juin, parue dans La Cause littéraire le 30 juin 2016 [supprimée depuis]


Adrien Goetz, né en 1966 à Caen, est écrivain. Il a publié six romans, tous disponibles en poche. Il est chroniqueur au Figaro et maître de conférences en histoire de l’art et à la Sorbonne. Le présent volume paraît pour le dixième anniversaire du musée du quai Branly, riche de 300 000 œuvres venues d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. [Mise en librairie le 26 mai 2016]


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