Jérôme Garcin, Le Dernier Hiver du Cid, Gallimard, 200 pages, 17,50 €

Jérôme Garcin, Le Dernier Hiver du Cid
aux éditions Gallimard, 200 pages, 17,50 €

Jérôme Garcin

Jérôme Garcin s’est fait une spécialité. Il ressuscite les morts. Il est d’une lignée d’« hommes intranquilles », ainsi qu’il le spécifie dans Le Syndrome Garcin, paru l’an dernier. Sa « soif d’actualité » ne le détourne pas de ses sources, d’un long « silence tumulaire ». Un de ses plus beaux livres, Le Voyant, l’atteste. Dans le cas du Cid, qu’il révère à la hauteur de l’amour voué à la fille d’Anne Philipe qu’il a épousée, on peut encore le voir « courir après des chiffres avec les seules lettres » [page 64 du Syndrome Garcin]. En effet, Gérard Philipe est mort le 25 novembre 1959. Jérôme Garcin le met en scène en l’août de cette année-là. Le célèbre acteur se délasse à « édifier devant la maison des murets en pierres sèches, de rectilignes restanques aux allures d’escaliers italiens ». Il est alors en famille avec sa femme et ses deux jeunes enfants à Ramatuelle. Jérôme Garcin clôt son récit à la date du 29 novembre. Vingt-neuf courts chapitres rappellent sur quatre mois l’existence flamboyante et l’agonie du Cid. La narration haletante, entre vie et mort, s’avère émouvante. L’approche littéraire est à la mesure du mythe et de la tragédie.
Dans ses travaux de restauration, d’entrée, Gérard Philipe est présenté « les épaules basses, courbant son mètre quatre-vingt-trois, plus grand encore d’être fléchi ». Le théâtre, le cinéma ne sont pas loin. Christian-Jaque ne disait-il pas de l’acteur : « même le cheval croyait qu’il savait monter » ? Et Jérôme Garcin – disant aussi le père condamné à mort par contumace – évoque ainsi le lecteur de Pierre et le loup et du Petit Prince : « une voix de jeune précepteur au bord de petits lits imaginaires ». Le récit fait une place à quelques lignes d’un Truffaut partisan et méchant. L’acteur était, selon le cinéaste, « affublé d’un timbre de voix proche de l’infirmité ». Jérôme Garcin n’a besoin de personne pour évoquer la voix. Dans Le Voyant, Folio, 2016, celle de Jacques Lusseyran « avait surtout l’impressionnante tranquillité d’une terre labourée qui, après le passage de l’orage, se réchauffe et s’affermit au soleil. Elle aussi avait résisté ». Sachant bien parler des autres, Jérôme Garcin accueille sous sa plume les meilleurs amis. L’éloge funèbre de Georges Perros vibre haut et clair : L’acteur du Cid « parlait admirablement faux, hors toute logique conventionnelle, enveloppant les mots d’une couche lyrique sans équivalent ; d’une membrane de tremblement qui les faisait grésiller et s’envoler sur la piste rouge du système nerveux, si riche de résonances ». Et l’auteur des Papiers collés de reconnaître du « génie » chez Gérard Philipe.


Le Dernier Hiver du Cid est le récit d’une gloire et de la mort par effraction. Le métier est célébré : « traverser au galop les siècles et les pays, porter un jour la cuirasse, un autre la soutane […] tomber pour mieux se relever, mourir pour de faux et vivre pour de vrai ». Le récit présente aussi un couple. Anne Philipe, devant la mort en marche, « a le courage de n’avoir plus aucun espoir ». Elle qui offre un « regard de chat persan » cache à son conjoint, au père de ses enfants, ce qui l’attend. Il ne s’est sans doute pas vu mourir seul d’une embolie foudroyante. Il lisait, crayon à la main. « Quatre siècles avant Jésus-Christ, Euripide décrit la terrible condition des femmes, réduites en esclavage par leurs maris, contraintes en même temps de séduire les hommes et d’élever seules leur progéniture, interdites de paroles et de liberté, obligées de se sacrifier. » C’est dire si ce volume est riche. À l’image de son héros, Jérôme Garcin semble bien lui aussi « doué pour la transe ». En tout cas il enchante et ravit. Jean Vilar avait affirmé : « La mort a frappé haut ». Jérôme Garcin porte sa résurrection à cette altitude.

Pierre Perrin, note du 23 octobre 2019


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