Claire Fourier, Radieuse, Une croisière en Adriatique
récit, La Différence, 2016, 224 pages, 17 €
Vous aimez les croisières ? Embarquez pour l’Adriatique de Claire Fourier ! Vous détestez les croisières ? Embarquez plus encore pour l’Adriatique de Claire Fourier ! C’est mené tambour battant. Huit jours, à suer le luxe et la misère intérieure qui va avec, dit-elle, portés à l’incandescence en quatre heures de lecture. Il n’est pas une page qui ne croise l’éclat et la gravité à la fois. Tout est à voir, de loin et de très près, les lieux, la beauté, le troupeau humain, ses exceptions, des « jambes lestes et célestes », l’air marin. Le navire-usine à plaisirs est, tour à tour, « une puce des mers, la nef des fous, une bétaillère » et ceux qui le peuplent, entre deux escales, sachant que « le personnel est plus raffiné que la clientèle […] qui macère dans l’huile solaire », au moins pour l’apparence : des randonneurs de l’inutile, des parents d’esclaves et autres joyeusetés que Rabelais n’aurait pas reniées. « Tant pis pour le panorama. C’est l’esprit panoramique qu’il faut avoir. »
En exergue, Claire Fourier donne à lire : « Voir le monde ! Comme s’il ne pouvait pas le voir de là où il se trouve ! » C’est une réplique du capitaine Peleg, dans Moby Dick, d’ailleurs reprise dans le cours de ce récit qui précise aussi, dès sa première page : « je ne dirai rien que je n’aie ressenti, vu avec les yeux de l’âme ». Son appareil photo à elle, c’est sa plume. Elle a l’art du cadrage, des angles et de la lumière. Le trait est acéré, comme il se doit. Cependant elle établit, au début surtout, au milieu et à la fin, un parallèle avec un récit antérieur, Dieu m’étonnera toujours, paru aux éditions Dialogues, en 2013. Ce précédent bijou à la prose entrelacée de haïku narre dix jours de retraite dans un monastère de la Chartreuse. C’est la contradiction parfaite avec la croisière. Une des dernières phrases paraît prophétique : « le temps ne passe pas plus qu’un paysage ne défile aux yeux du voyageur ». On ne saurait pas davantage ignorer cette réflexion au cœur du volume monacal : « J’avais fui le commerce humain tricheur et canaille, j’avais fui la place publique trépignante et piaffante, j’avais fui les criailleries de la populace, j’avais fui les discours effrontés et vulgaires, j’avais fui la promiscuité du troupeau vorace, roturier, qui tourne en rond dans le social, fait du surplace dans la mondialisation et dont la montre n’est qu’à l’heure de l’argent… Le Chartreux, mon noble Chartreux, allait tellement plus loin, plut haut ! Presque trop loin, presque trop haut ! » On lit au reste dans la croisière une sorte de répons parfait : « méditer fut à l’origine un terme médical. Meditari veut dire : donner des soins ». C’est que Claire Fourier construit une œuvre. Son précédent opus, le vingt-cinquième, remonte à l’automne dernier : Il n’est feu que de grand bois, à la Différence. Pour cette croisière en Adriatique, la lecture en regard de Dieu m’étonnera toujours procurerait un bel enrichissement.
La description qu’elle fait de ses congénères, dans Radieuse, est sans concession. Claire Fourier laisse la concession aux cimetières, c’est heureux. Par exemple, elle côtoie un couple appuyé au bastingage : « un homme immense et sa femme toute petite – petite comme si elle avait été rapetissée par un poids énorme : sa hauteur est partie tout entière en largeur ». Une autre, guide parfaite, à laquelle on ne peut imputer un « trognon de cou », encore moins « une silhouette de charcutière », s’avère du moins « un canon à mots ». Tous ces traits en feu d’artifice qui éclairent une réalité de notre époque touchent à des questions plus profondes, tel le rapport aux autres, sachant qu’on n’accomplit de grandes choses que dans la vraie solitude, celle-là qui nous renvoie à notre vérité, pas aux mensonges de surface. Elle note ainsi : « La technique, seule force qui aujourd’hui dépasse l’être humain – et ne le porte pas ». Elle relève une parole d’un admirable conférencier : « L’histoire a l’air d’une tortue prudente, c’est un taureau aveugle ». Quant à l’interrogation portée sur ce qu’est vivre, en quoi ça consiste pour chacun, Claire Fourier risque des réponses de qualité. Ainsi, tout d’abord, « on ne voit de la vie que la bande côtière », puis : « ce n’est pas Dieu qui est incroyable, c’est le genre humain », et encore, parce qu’un article ne saurait se substituer à l’essentiel : « Il y a tellement de quoi rire dans la vie ? », enfin et surtout : « La vie plane au-dessus des vivants et se nourrit des morts. »
Radieuse, Une croisière en Adriatique, un récit de grande qualité, roboratif à souhait, à peine ouvert, exige d’aller à sa fin. C’est, par toutes ces facettes, sagesse et drôleries mêlées, un pur régal.
Pierre Perrin, note du 24 mai parue sur La Cause littéraire le 16 juin 2016 [supprimé depuis]
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La note de lecture consacrée à Claire Fourier, Il n’est feu que de grand bois, roman, 2015