Claire Krähenbühl, Chemin des épingles et Denise Mützenberg, Pour Gabriel

Claire Krähenbühl, Chemin des épingles
dessins de Gisèle Poncet, éd. Les Troglodytes, 2019, 32 pages

Krähenbühl

Ex-animatrice avec sa sœur Denise Mützenberg des éditions Samizdat à Genève [reprises en 2017 par Claudine Gaetzi], Claire Krähenbühl livre avec Chemin des épingles « seize courtes proses, chacune remontée de l’enfance, vêtue du rouge des contes, irriguée du sang de la vraie vie. Certaines ont sauté, toutes vives, d’anciens cahiers : notes ou brouillons, parfois même de recueils publiés » précise le site de l’éditeur. Claire Krähenbühl emprunte de fait la voix des conteuses pour dire un rapport à la mère qu’elle interpelle, quoique morte. « Où tu te noies, je te sauve ». Claire écrit encore : « Tu es mon enfant perdue que je retrouve. » L’enjeu de l’opuscule semble bien de faire revivre la disparue. Les dessins trace un chemin de couture, d’épingles. La petite fille sort du ventre du Loup. « On a tous pris un jour le chemin des aiguilles alors que le traître animal prenait le chemin des épingles. » En faufil paraît l’autre, la sœur, la complice et la rivale à la fois que la perte de la mère « morte d’un cancer et d’amour » amène encore à mieux connaître. À la fin, Claire parvient à « sortir le je de la gangue du nous » et à « conjuguer la première personne du singulier. Et la deuxième ». C’est le recueil d’une présence reconquise, c’est beau et c’est à voir sur cette page.

Pierre Perrin, note du 17 novembre 2019


Denise Mützenberg, Pour Gabriel
éditions Le Cadratin, 2012, 68 pages

Pour Gabriel

De cet admirable recueil, la couverture s’offre pour une découverte par la vue, que rejoint aussitôt le toucher. D’une somptueuse sobriété, la couverture a été composée au plomb. Le titre libère un beau gaufrage. Les rabats sont généreux. Bref, avant même d’entrouvrir les cahiers cousus, reliés dans la couverture, le lecteur subodore la matière d’un beau livre. Il a raison. Une voix le parcourt. Le poème est tantôt en prose, tantôt en vers plutôt brefs mais une prosodie toujours l’élève et assure le mystère que Denise Mützenberg rend évident. Si le tissu de la confidence est ténu, il n’insuffle que mieux la vie et la mort d’un proche.
Le livre est dédié au compagnon d’une existence. L’admirable est qu’en peu de pages tout est dit. Au-delà de l’attente suggérée, la rencontre, la tendresse éclatent par exemple dans une simple phrase. « Comme je m’étais donné joyeusement, dans la fête des premières feuilles. » Denise Mützenberg offre cette grâce de dire vrai et simple et de nous émouvoir à la fois. « J’ai tant pleuré / que je te vois ce soir / avec des yeux lavés. » La seconde moitié du recueil est une offrande à la perte inexorablement en marche. Elle fixe des souvenirs parfois heureux ; elle agrège des moments de répit ; elle instaure la compassion, seul remède à la douleur de l’autre. « Comment vivre dans ce qui reste de corps ? » Une pudeur contient ici la plainte. La mort a emporté le combat, mais le poème en reporte l’issue. J’ai rarement lu recueil plus digne et émouvant. À découvrir sur cette page.

Pierre Perrin, note du 16 novembre 2019


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