Ariane Bois, Et le jour pour eux sera comme la nuit, Ramsay littérature, 2009, 128 pages, 15 €

Ariane Bois, Et le jour pour eux sera comme la nuit
Ramsay littérature, 2009, 128 pages, 15 €

Ariane BoisCe premier roman confirme les qualités d’écrivain d’Ariane Bois. Tout est en place – le sens aigu de la formule, celui de la mise en scène efficace, aucun cabotinage jamais, l’émotion sans prévenir qui saisit et libère, enfin un style concis et imagé à la fois. Tout est déjà, plus qu’en place, réussi dès ce premier roman. Comment cela se peut-il ? La simplicité se conquiert. On ne pourrait le deviner, mais Ariane Bois a travaillé. Dans un entretien accordé à Brigitte Bontour, pour Le Salon littéraire, elle confiait en 2012 : « J’ai beaucoup élagué, coupé deux cents pages au total. Il y avait au départ deux histoires en parallèle, mais je me suis très vite rendu compte qu’il ne pouvait pas y avoir de ramifications, d’autres histoires. Il fallait que ce drame se vive en huis clos. J’ai resserré la trame sur les parents, le frère, la sœur, la grand-mère. »
Le sujet est grave. Un fils de vingt ans se jette du haut de sept étages. Son père médecin a vu la chute depuis la fenêtre ; il accourt ; il ne peut que constater la mort. Un frère de neuf ans découvre pour la première fois sa mère pleurer. Diane, la grande sœur revient par le premier avion de New York. La famille est explosée comme la verrière du rez-de-chaussée. Le soir même, la jeune fille ouvre aux visiteurs. « À force de sourire, ses joues lui font mal. » Et pourtant, on compte un suicide à chaque heure en France. Les accidents de la route font deux à trois fois moins de morts. « Cinq jours auparavant, ils se croyaient immortels. » Ariane Bois excelle à dire les transformations physiques, somatiques qu’inflige la douleur sur ses proies, le froid qui prend jusqu’aux os, le lumbago rituel, la sexualité en berne. « J’ai mal partout, j’ai l’impression que mes organes sanglotent. » Le père, très au-delà du médecin, comprend vite qu’il est devenu « orphelin de son fils ».
Pourquoi donc le jeune homme a-t-il « bachoté sa mort » au point de la préméditer ? Comment remonter le fil de la décision funèbre ? S’ouvre un thème cher à l’auteur : « Connaît-on les autres ? Que sait-on de nos propres enfants, de leur part obscure ? » Ce thème est gigogne. L’incommunicabilité est la sœur de la culpabilité. On ment au petit frère, du moins on lui cache le suicide de son aîné. Le petit à son tour part en vrille, agité par un manque d’amour, d’attention de ses parents. Comment communiquer ? Ariane Bois met dans la bouche de la mère cette phrase : « Elle exècre la loi moderne qui exige le dialogue, cette impudeur, cette transparence obligée. » A-t-elle tort ? Elle observe : « Si elle se mettait à raconter ce qu’elle éprouve, des vipères, des grenouilles ou des souris s’échapperaient de sa bouche. Et on enfermerait cette sorcière à l’asile ou au zoo. »
Un soir, Diane qui a congédié son ami de longue date fait l’amour sauvagement avec un inconnu ; elle se trouve « ouverte en deux », sans plus d’explication. La mort a « gravé son empreinte sur le visage » des quatre survivants, le père, la mère, la fille et l’enfant. Tous cherchent, chacun de leur côté, le mobile du meurtre car se tuer c’est commettre un meurtre contre soi-même. Le mobile résiste aux inquisitions aveugles. Dans le même temps, les père et mère se reconstruisent comme ils peuvent contre le chagrin. Des écrits retrouvés petit à petit ré-échafaudent pour ceux qui persistent à vivre ce mobile. Il y a sans doute le manque de confiance en soi, la peur de l’avenir, un chagrin d’amour surtout, l’enfermement dans une méprise. « Le secret, c’est tout ce qui nous reste. »
Ariane Bois connaît l’empire de la superstition, combien elle dirige encore tant d’entre nous par moments. Elle connaît les interstices du chagrin et comment il déferle sans crier gare, emportant tout. Mais elle connaît aussi la rédemption, discrètement annoncée dans l’épilogue. « La langue du malheur se résume à quelques mots balbutiés. » La délicatesse d’Ariane Bois est immense, intense ; à sa suite, je ne délivre que quelques notes perdues. Allez voir, lisez ce titre à peine détourné d’un vers de Victor Hugo pour la tombe de Léopoldine, Et le jour pour [toi] sera comme la nuit. Ce huis clos respire une profonde attention ; il éclaire et délivre une paix durable.

Pierre Perrin, note du 26 mars 2018


Autre note pour Ariane Bois, à propos de L’Île aux enfants, Belfond, 2019


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