Michel Baglin, Lettres d’un athée à un ami croyant, éd. Henry, 2017, 104 pages, 10 €

Michel Baglin, Lettres d’un athée à un ami croyant
dessins de Jean-Michel Delambre, éd. Henry, 2017, 104 pages, 10 €

Michel BaglinVingt-trois lettres d’environ quatre à cinq pages chacune, illustrées de treize caricatures, reproduites en noir et blanc, de Jean-Michel Delambre, constitue ce volume de réflexions. Le destinataire semble en retrait ; en tout cas, il n’use pas d’un éventuel droit de réponse, sinon de façon indirecte, dans une de ces lettres où Baglin réfute ou reprend une objection supposée. La première lettre est datée du lendemain de l’attentat contre Charlie, le 8 janvier 2015 ; la dernière, du 15 février 2016. Treize mois donc. Un détail, mais qui importe : page 16, Michel Baglin parle d’un « unanimisme affiché » à propos de la marche du 13 janvier, reproduisant ainsi l’erreur des élites médiatiques de l’époque, Vanessa Schneider du Monde, Roland Cayrol, mais non Barbier par exemple, qui répétaient ce mot en boucle, mal à propos, en lieu et place d’unanimité. L’unanimisme reste une école littéraire du vingtième siècle qui se proposait de traduire les sentiments et les impressions de larges groupes humains. L’usage de la langue est sans pitié, même si quelques dictionnaires récents sanctifient certaines erreurs après coup.

La quatrième de couverture propose ces pistes de lecture : « À l’heure des attentats, ces lettres d’un athée portent la conviction que le dialogue entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas reste ouvert, à la condition de ne pas oublier qu’en démocratie le respect est dû aux personnes, pas à leur foi, leurs idéologies, leurs représentations du monde, leurs utopies. Les religions ne sauraient rester, elles seules, hors du champ de la critique […]. Quand les religions entendent imposer leurs injonctions et leurs interdits, on entre dans l’apartheid, elles portent en elles la guerre des communautés. Ainsi ce plaidoyer pour la laïcité souligne-t-il qu’il n’est pas de frères de race ou de religion, seulement des frères d’humanité. »

Baglin cite ce fragment d’une lettre à Sophie Volland de Diderot : « Partout où il y a un dieu, il y a un culte ; partout où il y a un culte, l’ordre naturel des devoirs moraux est renversé et la morale corrompue. Tôt ou tard, il vient un moment où la notion qui a empêché de voler un écu fait égorger cent mille hommes. » Il cite Comte-Sponville : « la secte, c’est église de l’autre ». Il cite Abdelwalab Meddeb : « Ce n’est pas à l’Europe de s’adapter à l’islam, c’est à l’islam de s’adapter à l’Europe ». Il cite encore Malraux qualifiant le Christ « un anarchiste qui a réussi » et Kœstler : « les guerres ne procèdent pas de l’agressivité des hommes, mais de leur capacité de dévotion ». Il précise que « si les islamistes ne sont pas tout l’islam, ils en sont des composants » et que « la tolérance […] est un pis-aller fragile et incertain ». Il reproche, créant la belle formule des « tables de la foi », que « la foi n’est pas accessible à la raison », alors que « la liberté de penser est imprescriptible », cette dernière affirmation restant fort discutable. J’apprécie enfin qu’il rapporte : « les Indiens d’Amérique demandaient pardon avant de le tuer au bison qu’ils chassaient pour se nourrir ».

Concernant le califat à visée totalitaire, ne serait-ce que dans ses buts géographiques soulignés par la terrible étendue des attentats, il condamne sans ambages des visées pires qu’elles ont pu l’être au Bas Moyen Âge, en Orient, la femme réduite à satisfaire le guerrier, légitimant le viol, réduite à la procréation ; l’ignominie de la charia qui réprime l’apostasie par la décapitation, institue la lapidation à mort contre toute sexualité un peu libre et autres joyeusetés. Ces anti-valeurs sont celles de la pègre. Il justifie que notre civilisation ne les tolère pas. Il comprend que « l’antiracisme est moins un engagement pour la fraternité que l’horizon d’une pensée ». Il démêle quelques slogans qu’utilise l’extrême droite, en montrant par exemple que la notion d’identité ne devrait pas se réduire à la xénophobie, que la fermeture des frontières est une stupidité, comme si les gabelous n’avaient jamais existé. Il avance que le métissage est une chance, ce que la génétique confirme dès l’origine de l’homme. Mais, à la différence d’un Boucheron, au regard des droits de l’homme, il condamne fermement le communautarisme. Les prêcheurs de djihad, dehors ! Qui pourrait admettre un nouvel apartheid au sein même de l’Europe ?

Cette centaine de pages mérite donc le détour. Des croyants fulmineront peut-être ? Pourtant, l’auteur ne se montre jamais méprisant, au contraire. Je goûte que Baglin achève sa dernière lettre sur cette note : si l’homme a inventé dieu, l’univers surpasse toutes nos fables et autres vérités révélées. C’est donc une petite somme de réflexions qui nous est offerte là. À chacun de se l’approprier, par ces temps troublés.

Pierre Perrin, note du dimanche 4 juin 2017


Michel Baglin fut le contemporain du numéro 5, en février 2016 de la revue en ligne Possibles. Un récit, initialement paru, en 2002, à la Table ronde, Entre les lignes, a fait l’objet d’une note de lecture, la même année ; ce récit a été rédité chez Le Bruit des autres en 2015.


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