Adeline Baldacchino, Max-Pol Fouchet, Le feu la flamme, sous-titré une rencontre, éd. Michalon, 2013, 288 pages, 18 €

Adeline Baldacchino, Max-Pol Fouchet, Le feu la flamme
sous-titré une rencontre, éd. Michalon, 2013, 288 pages, 18 €

couv. FouchetCe livre est une biographie consacrée à Max-Pol Fouchet, 1913-1980, humaniste, poète, romancier, critique musical et littéraire, homme de radio et de télévision. Cet homme a touché à tout, comme on herse sans labourer. Que reste-t-il de lui ? Que pourrait-on lire encore de celui qui nota : « Le temps passe… et je ne crée rien, moi » ? Ses poèmes, Demeure le secret, sont disponibles chez Actes-Sud. Un roman, des nouvelles qui, sans crever l’écran, entrouvrent Les Évidences secrètes. Mais le projet d’Adeline Baldacchino, qui précise : « tout travail biographique est avant tout un acte d’égotisme pur », a été de poursuivre un fantôme, pour le mêler aux siens, et surtout sceller un premier pilier de son œuvre propre qui, elle, lui tient à cœur. C’est pourquoi cette biographie est encadrée d’un prélude et d’un postlude et ponctuée de trois interludes, pages personnelles en même temps que magistralement mariées à la narration de l’autre existence. Adeline Baldacchino a publié un second essai, en 2016, excellent, appuyé sur Michel Onfray dont le nom, déjà dans ce Fouchet, achève la page 246 tel un présage.

Jeune homme, Fouchet a aimé la même femme que Camus à Alger. Celle-ci a été la cause de leur inimitié définitive. Camus a obtenu le Nobel, Fouchet a dû se contenter des lumières sans lendemain des radio et télévision d’alors. Malgré ce ratage ou plus sûrement à cause de lui, comme repoussoir, Adeline Baldacchino ressuscite l’aventure de la revue Fontaine, à Alger, pendant la guerre, mais sans occulter le prudent retrait physique, alors que Char se battait en France occupée et que Camus, dès 42 sur le sol français, la guerre finie, publiera de lui les admirables Feuillets d’Hypnos. Bref, la vie de Fouchet, fort brillamment narrée, passionnante par ses réussites, son sens de l’honnêteté intellectuelle, ses façons de résister au pouvoir, voire sa collection de femmes aussi par défaut, se lit d’autant plus agréablement qu’on suit avec grand plaisir la vérité de la biographe, dans les interstices. C’est cette vérité, en profondeur, qui retient autant et plus que les grandes orgues de la notoriété passée.

Adeline Baldacchino interroge ainsi la nature de l’écriture, à quoi ça sert « ce dernier refuge empierré de la présence », et particulièrement la poésie : « Échappant aux réflexes conditionnés, aux évidences oublieuses, la grande poésie découvre et dépose en nous ce que nous y avions oublié. Celle qui nous frappe au cœur, lorsque nous prenons le temps de la lire au cœur du secret de la nuit, parle à ce quelqu’un d’autre en nous que nous enfouissons tout le jour pour oublier la mort. » Ce qui va avec, ce qui fonde la poésie, c’est le déchiffrement de l’être, une tentative d’accès à « l’obscure lucidité ». Elle sait la mort irréversible, tâtonne peut-être autour du mot âme, mais fixe déjà l’être avec éclat : « À chaque instant, tout nous désassemble […] Ce personnage auquel nous ressemblons n’est fait que de ces miettes rassemblées en chaque point du temps autour de lui, comme les pierres sur un clapas ou les galets sur la plage. » Comme Max-Pol Fouchet, elle dit hésiter entre l’œuvre à tenir et la vraie vie. « Seul l’informe fut vraiment vivant, seule la chair, confondue dans l’inexact et l’approximatif, ressemble à de la chair : et le mot, que vaut-il, sur sa page morte, que nous dit-il encore du sensible qui lui échappe ? Je ne sais pas, je m’accroche encore à la magie noire du sable mouvant, sur lequel on trace les mots dévorés par l’écume. »

La question sous-jacente à ce livre, qu’est-ce que vivre ? trémule adorablement : « Je me livre à la vie comme le naufragé finit par se livrer à la mer. » Ailleurs : « Nous tentons d’être sans savoir vraiment de quoi il s’agit. » Adeline Baldacchino confesse encore cette sorte de cri : « Il faudrait avoir trente ans bien plus souvent » qui la conduit à quasi conclure sur cette belle image : « La poésie écrite est ce qui reste de la poésie vécue, un peu comme la braise est ce qui reste de la flamme. » C’est donc un beau livre, une réussite. Adeline Baldacchino a non seulement retrouvé la trace de cet homme-orchestre mais aussi, comme elle l’écrit dans la même phrase, commencé à inventer la sienne. Comment ne pas aimer cette sentence ? « La quête éperdue de la plus haute mer nous ramène aux plages de nous-mêmes. » Puisse le lecteur curieux ressentir cet essor d’une œuvre en train de naître !

Pierre Perrin, note du 27 mai 2016


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