André Blanchard, Le Reste sans changement, Le Dilettante, 2015

André Blanchard, Le Reste sans changement
Le Dilettante, 2015, 192 pages, 18 €

couv. Blanchard

Le 13 avril 1895, Jules Renard consigne dans son Journal : « Écrire, c’est une façon de parler sans être interrompu. » Bel apophtegme, mais quelle vérité peut tenir contre le néant ? Né en 1951, André Blanchard, notre Léautaud de Vesoul et, comme celui de Paris, casanier jusque dans son encrier, s’est “interrompu”, voilà un an. Le Reste sans changement, son douzième et dernier titre dont on goûte l’humour particulièrement noir, ne déroge pas à ce qui a fait sa réputation de diariste : une sévérité drôle qui n’épargne rien ni personne. D’abord, prémonitoire, mais n’est-ce pas le sujet qui l’exige ? « Rester en vie, c’est faire du zèle. » Ensuite il titille force baudruches, leurs tics ; il les prend à leur toc. BHL, en intellectuel de gare, c’est court, mais est-ce que ça mérite plus ? Suite à un « opuscule peut-être regrettable, blâmable, etc. », le commando contre « le plus grand écrivain français vivant [a été] emmené par cette nunuche et calamiteuse Ernaux ». Révérence gardée, il a aussi feuilleté Rosebud. L’auteur en est « Assouline, spécialiste du remplissage [qui] met de côté ceux dont la mort a empêché la terminaison (quel vocabulaire) ». Il lui reproche des à-peu-près. Parlant d’un « chef-d’œuvre inaccompli, comme la Révolution », Blanchard reste calme, mais interroge : « Si “Révolution” se rapporte aux deux termes à la fois, en quoi fut-elle “chef-d’œuvre” ? En quoi fut-elle “inaccomplie” ? À propos, “chef-d’œuvre” et “inaccompli”, sont-ce deux mots qui collent bien ensemble ? » On le voit, pardon pour le lecteur qui serait choqué dans ses goûts, mais l’argumentation mérite le détour.


Son ire n’épargne pas les poètes. Il y a de quoi rire, en effet. Début 2013, une affiche annonce Butor, Juliet et Venaille, réunis à la maison de la Poésie à Paris. Titre de la soirée : Les géants ! Blanchard les dévisage à l’aune de « ce somptueux quatuor qui se rit des siècles : Villon, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud ». Pour Juliet, il écrit ailleurs : « phraseur et paraphraseur ». Sa pique, épargnant un peu Venaille, plaque : ce en quoi notre époque « excelle, c’est que nous ayons honte à sa place ». Le livre est-il moins acheté, la France lit-elle deux fois moins ? « Dès que la lecture comme sujet épineux grappille une place dans la réflexion des officiels, ceux-ci et leurs relais dans le pays n’ont que ce mot d’ordre : “Il faut désacraliser le livre”. – Pour être sûr qu’il atterrisse bien, un jour, à la déchèterie. » Sa compagne étant professeur, il a de quoi dénoncer certains tours de passe-passe du système. Comment ne pas apprécier ses cruelles mais justes récriminations ? Surtout il décape l’humain, jusqu’à l’os. « Quand on ne le regarde plus, il est capable de tout, l’homme. » À une page d’intervalle, il écrit encore : « Retrouve-t-on jamais cet élan vers la journée que fut, dans notre petite enfance, le lever au matin de Noël ? » et, pour le nouvel an : « Hé, ho, Sisyphe, remonte ! »
Tout lui profite. « Que les mots lancés sur le papier dévoilent de nouvelles combinaisons, et on le tient, le style. » La rumeur mensongère – aurait-il traqué le pléonasme, qui n’est pas, ici – donne raison à ceux qui la répandent : « en voilà du poison, en voilà de la saloperie, juste crachés afin que ça prenne sur les esprits rachitiques ». On le voit, Blanchard, c’est de la toile émeri. Un bon mot qui ne blesse pas, dit-il encore, est un coup perdu. À le lire, on gagne sur toute la ligne. Il va nous manquer. C’eût été, si on me l’avait demandé, mon hommage funèbre. « Prenons tout à cœur. Vieillir fera le tri. Les vers, non. » Que son œuvre, grâce à vous, reste vive.

Pierre Perrin, note du 29 décembre 2015

André Blanchard a vécu à Vesoul, dans la Haute-Saône, où il faisait l’ange gardien dans une galerie d’art. Il est décédé le lundi 29 septembre 2014. Il a publié une douzaine d’ouvrages, dont cinq au Dilettante. Entre chien et loup et Contrebande, en 2007 ; Pèlerinages en 2009 ; Autres directions en 2011 et À la demande générale en 2013. Saluée par la grande presse, son œuvre, essentiellement de diariste, a fait l’objet de près 80 articles. Le volume Petites Nuits paru en 2003 avait fait l’objet d’une note parue dans La Nouvelle Revue française n° 571, en octobre 2004.


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