Sophie Pujas, Ce qu’il reste de nuit
sous-titré Lokiss, un portrait, avec un cahier central de huit reproductions couleurs de l’artiste,
éditions Buchet-Chastel, 2016, 112 pages, 12 €
Cette monographie, c’est autant une détonation. La détonation, c’est la définition que Sophie Pujas prête à une idée. « L’homme, en meute, est une brute. » Cet ouvrage, évidemment, aligne mille sous-munitions. C’est écrit, le doigt sur la gâchette, à la vitesse d’un éclat de bombe, ou peu s’en faut. Le paragraphe fait plus souvent une ligne qu’il n’en contient dix. Trois axes de lecture s’entremêlent en permanence.
Le premier dit le parcours, violent, cahoteux, chaotique, d’un petit-bourgeois, né en 1968, d’un père « écrivain, éditeur, esprit brillant […]. De ce monde littéraire, Lokiss gardera une instinctive défiance pour les coteries, les milieux trop polis, les civilités parisiennes ». L’adolescence va le transformer, de la racaille à la bataille, en un révolté majeur. L’art des rues d’abord, au bout de son « bras palimpseste », puis une volonté de recherche incessante va faire de lui un artiste coté.
Le second axe de lecture examine, sinon les œuvres qu’atteste un cahier de huit pages couleurs au centre de l’ouvrage, du moins la place de l’art moderne dans notre société. « L’art commence où cesse la politesse. » Ou bien : « L’artiste est toujours un peu mage, en dialogue involontaire avec les forces obscures. Du moins est-on souvent tenté de lui prêter des pouvoirs qui le dépassent, et ainsi deviennent siens. »
Le troisième axe enfin couvre les mobiles de la création. « La création commence quand tombe toute protection. En soi et dans le monde. Laisser s’effondrer les barrières intimes comme ce qui veille au-dehors. N’être plus qu’une fragilité en marche. » Dans cet en-avant, Sophie Pujas livre, entre autres, cette belle formule : « L’impossible est le rêve du réel, son secret ourlet. » Comme elle l’écrit encore : « L’enfer, c’est choisir », de même on ne saurait brider le lecteur, tant rien ne manque pour réaliser sans doute une métamorphose de son propre regard sur l’art.
Ce qu’elle consigne à propos de l’artiste semble bien prendre rang de vérité générale :
« Nous ne devrions jamais cesser de hurler tant qu’une douleur demeure au monde.
Nous réprimons ces cris pour ne pas devenir fous.
L’artiste a cette charge absurde, inutile, vaine, de hurler au nom des autres. »
Pierre Perrin, 8 mars 2016
Maraudes, récit, Gallimard —>
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